Lester Bangs Mégatonnique rock critic – Jim DeRogatis

Une biographie, c’est toujours bien parce que cela raconte la vie d’une personne, aussi déjantée soit-elle, comme c’est le cas ici. Et quand ce sont les éditions Tristram qui la publie, c’est encore mieux : belle édition, parsemée de photos d’époque, et donc d’artistes comme le groupe des Clash sur la couverture, avec Lester Bangs au centre.

Tristram, c’est une petite maison d’édition française, située à Auch. Je l’ai connue par les bouquins de Hunter S. Thompson qu’elle a publié (le testament Gonzo par exemple). Bizarrement, on dirait qu’ils n’ont plus de site internet, mais on peut trouver leur collection sur le site rue des livres.

Lester Bangs est donc un critique rock qui a révolutionné le genre, et dont les textes incarnaient un genre littéraire effectivement très « rock » ! Une sorte de journalisme Gonzo, où il se met autant en scène que l’artiste qu’il interviewe.

Il était l’ami des musiciens qui le prenaient pour leur égal : Captain Beefheart, Lou Reed, Patti Smith, Les Clash pour n’en citer que quelques uns… Il est même monté sur scène lui-même, on peut le trouver sur youtube, comme ici avec un morceau intitulé There’s a man in there avec son groupe Birdland (morceau que je préfère à son titre phare Let it Blurt).

Il y a d’autres morceaux qui valent le détour, comme Accident of God, ou Kill Him Again

Pour tout vous dire, la lecture de biographie, aussi emphatique soit-elle, ne m’a pas fait aimer le personnage pour autant. En résumé, on peut dire qu’il a passé sa vie à se défoncer, à toujours remettre à demain l’écriture d’un livre (l’écriture était sans doute son vrai talent), et est mort à 33 ans.

C’était un personnage complexe, un créatif qui n’arrivera pas à trouver sa voie : il veut écrire un livre, mais ne sait pas comment d’y prendre, et reporte sans cesse ; ses tentatives de monter un groupe musical sont aussi un échec. Il finit par être jaloux de la réussite des autres (brouille avec Patti Smith), ou parce qu’ils vont dans une autre direction que celle qu’il préconise. Il veut « écrire le roman ultime », « avoir la liaison ultime », « faire le concert ultime », etc… Tout cela en étant défoncé du matin au soir, c’est un peu compliqué !

Son enfance ne l’a pas aidé, certes, mais bon, on a quand même l’impression d’un immense gâchis. Et s’il avait de très bon côtés, des qualités comme un sens de l’amitié très fort, ça ne devait pas être facile d’être ami avec un type comme ça, qui en voulait un peu au monde entier de ne pas être reconnu à sa propre valeur.

Lestie Conway Bangs naît donc en 1948, dans une petite ville de Californie. Sa mère est une dévote, faisant partie des témoins de Jehovah (comme la mère de Patti Smith), et il perdra son père très jeune.

La musique va très vite devenir un moyen pour Lester de s’échapper. En commençant par le jazz pour lequel il gardera toujours une passion (Mile Davis – Birth of the cool). Vient ensuite l’écriture : il est doué pour la littérature, ce sont les seuls cours qui l’intéressent au lycée.

Il est fan de Kerouac et de la bande des Beats (Cassady, Ginsberg, etc…). À tel point que lorsqu’il apprend la mort de Kerouac (en 1969, Lester a donc 21 ans), il va pleurer de longues heures. On peut dire qu’il est nostalgique de cette époque : le mouvement hippie de son époque c’est bien, mais les Beats, eux au moins, avaient de la culture !

Très jeune, il se défonce à coups de bouteilles de Romilar, un sirop contenant des opiacées. Il continuera longtemps, ajoutant très vite l’alcool en grandes quantités.

« Le Romilar, écrivit Lester, est la dope de coin de rue ultime. Et pourquoi ? Parce qu’il y a un drugstore dans chaque rue, et que chacun a un rayonnage plein de vous-savez-quoi. » La dextrométhorphane le rendait à la fois engourdi et agité. « On dit que c’est une défonce parce que ça altère votre conscience et vos sensations physiques, mais dans le sens de la vacuité – un vide total, une totale absence de soi. » Comme beaucoup de produits psychédéliques, elle pouvait influencer l’écoute de la musique et provoquer des cénesthésies, ainsi que la sensation de « voir » les sons comme les couleurs. Mais elle avait aussi des effets nettement moins agréables.

Quand il travaille pour le magazine Creem (en mode communauté, c’est l’époque !), ses amis/collègues le trouvent la nuit avec un casque sur les oreilles, le volume à fond, une bouteille d’alcool vide à ses pieds : il dort alors que le volume est si fort qu’il les a réveillé malgré le casque !!

Côté musical, il déteste la pop commerciale, les morceaux faciles, et préfère la musique « dérangeante », le heavy metal, celle qui a chaque réécoute te fait découvrir un nouveau petit détail. L’état dans lequel il l’écoute doit aussi jouer…

Son hygiène est problématique, et il dégage une forte odeur corporelle. Il est provocateur, agressif ; il a tout de même des côtés attachants comme son besoin d’amitié (si vous êtes son ami vous pouvez lui demander n’importe quoi, il se mettra en quatre), sans doute lié à sa solitude sentimentale, éternel célibataire, très vite amoureux, mais incapable de maintenir une relation stable de part son comportement.

Personnage provocateur, il est très agressif dans ses interviews:

En gros, je commençais à poser la question la plus insultante que je pouvais imaginer. Interviewer les rocks stars, c »‘était une telle arnaque ! Une soumission servile à des gens qui en fait n’avaient rien de spécial. C’est un mec comme un autre, et alors ?

Ses « passes d’armes » lors d’interviews avec Lou Reed (qui le fascine et avec qui il entretient une relation conflictuelle) restent mémorables, où chacun passe son temps à insulter l’autre. Lou ne peut pas encadrer Lester, qui représente tout ce qu’il n’aime pas. Et Lester de publier ensuite un article intitulé : « Louons maintenant les célèbres nains mortifères, ou comment je me suis castagné avec Lou Reed sans m’endormir une seule fois« . Une sorte de respect mutuel finira par s’établir entre eux deux. Après sa mort, Lou Reed dira :

Parfois, quand les gens sont obsédés par votre travail, c’est vraiment dangereux pour l’un comme pour l’autre. On peut décevoir quelqu’un très facilement quand les gens se rendent compte à quel point vous êtes humain.

Lester quitte le magazine Creem où il était rédac-chef pour aller à New-York avec sa copine Nancy, qui le quittera malgré leur amour car il est devenu ingérable (drogues, alcool). Il fréquente le CBGB (Country, BlueGrassand Blues) un club de NY, repère de la musique punk de l’époque, qui révélera entre autres les Ramones. Lester en devient le poivrot de service, côtoyant tous les artistes new-yorkais. Il finit par monter sur scène avec des musiciens de différents groupes. Voilà la pochette de son premier single, pied de nez à l’album ‘Transformer’ de Lou Reed :

Lou Reed « Transformer  » vs Lester Bangs « Let it Blurt ».
Lester avait mis au point ce regard fou de visionnaire dès le lycée…

Après le CBGB, il migre vers le Bells of Hell, un bar de poivrots où d’autres critiques rock se retrouvent et se soutiennent :

On pouvait aller au Bells sans un rond, se cuiter, se défoncer, se lever une nana et sortir avec du blé, parce qu’il y avait là un type appelé Al Fields qui jouait aux dés avec vous et ne gagnait jamais… Vous voyez le genre d’endroit.

Mais les temps changent, le magazine People apparaît, les maisons de disques se rendent compte que les critiques rocks ne font pas vendre les albums, mieux vaut un article positif et des passages radios pour vendre ! C’est la fin d’une époque, le disco arrive… Lester essaie de décrocher avec l’aide des AA (Alcooliques anonymes), pour des périodes plus ou moins longues, mais rechute toujours.

Il sera retrouvé mort dans sa chambre, probablement d’une overdose de Darvon et sans doute aussi de Valium. L’autopsie réalisée sera jugée primitive et incomplète, ce qui explique l’incertitude sur les causes réelles. La page Wikipedia française quant à elle attribue sa mort à des « complications respiratoires », un bel euphémisme.

On peut trouver pas mal de morceaux de lui sur Youtube, et même des interviews, comme « Lester Bangs about music ». Deux recueils de ses critiques ont été publiés par les éditions Tristram :

  • Fêtes sanglantes & mauvais goût
  • Psychotic Reactions & autres carburateurs flingués

Je ne suis pas sûr que cela me plaise, ce doit être un peu trop « barré »… Et puis les critiques musicaux, ce n’est pas vraiment ma tasse de thé, parler de la musique est un exercice tellement particulier… D’ailleurs Lester Bangs l’explique lui-même dans un article intitulé « Comment devenir rock critic ? un voyage mégatonnique avec Lester Bangs » que l’on trouve en annexe de cette bio :

La première chose à comprendre et à garder à l’esprit en permanence, c’est que tout le truc est bidon depuis le départ, il ne veut rien dire du tout sinon au niveau arnaque, ainsi que du point de vue des zélotes : vouloir infliger vos goûts aux gens.

Côté cinéma

Cameron Crowe, ancien critique rock devenu cinéaste, réalisa en 2000 « Almost Famous », film largement autobiographique. Ancien protégé de Lester, ce dernier y apparaît donc, incarné par Philip Seymour Hoffman.

C’est l’histoire d’un jeune de 15 ans, William Miller, qui est fan de rock, et fait une première rencontre avec Lester Bangs, qui lui donne des conseils devenir un bon critique. William envoie ensuite un article au magazine Rolling Stones qui va alors l’envoyer suivre le groupe Stillwater en tournée à travers le pays.

Un très bon film, un vrai road-trip musical des années 70, au cœur d’un groupe et de ses groupies… William va y grandir tout en gardant sa personnalité. Et quand Rolling Stones lui met la pression, un petit coup de fil au grand frère Lester Bangs lui apporte la solution !

Côté musique

Au fil de la lecture de cette bio, j’ai noté quelques albums que Lester appréciait (et qui pourraient me plaire) :

  • Miles Davis – « Birth of the Cool », « Kind of Blue », mais aussi « Miles Ahead », « Porgy and Bess, « Sketches of the Spain », « Jazz Track ».
  • Van Morrison – « Astral Weeks ».
  • Velvet Underground – « White Light/White Heat.
  • Jackson Brown – « The Pretender ».
  • Toots & The Mayals – « Funky Kingston ».

Et voilà selon le magazine « The Village Voice » le Top Ten de 1981 :

  • Sandinista! des Clash.
  • Wild Gift de X.
  • Trust d’Elvis Costello and the Attractions.
  • Tatoo you des Rolling Stones.
  • Pirates de Rickie Lee Jones.
  • East Side Story de Squeeze.
  • Dreamtime de Tom Verlaine.
  • Controversy de Prince.
  • Street Songs de Rick James.
  • Beauty and the Beat des Go-Go’s.

Enfin, dans les avant-pages du livre, on peut lire :

« Lester Bangs : mégatonnique rock critic »c’est aussi un longbox anthologique de 3 CD, bande-son idéale de la vie et des livres de Lester Bangs en une cinquantaine de titres.

On trouve la liste des morceaux ici sur Amazon par exemple :
« De Lou Reed et Captain Beefheart à Rocket From The Tombs et Kraftwerk : la bande son idéale des livres de Lester Bangs en 50 titres. »
Franchement, ça fait un belle playlist à se construire, pour ceux qui aiment le rock/punk/reggae. Il y a de très bons morceaux (et même un d’Elvis) !!.

Jim DeRogatis, né en 1964, est un critique musical et animateur de radio américain. Il était bien sûr fan de Lester Bangs, à qui il écrivit quand il était jeune, et à qui Lester Bangs répondit, comme il le faisait souvent, allant même jusqu’à entretenir une correspondance, ou même les appeler au téléphone.

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