Légende d’un dormeur éveillé – Gaëlle Nohant

C’était le cadeau d’amis pour mon anniversaire, et un très bon choix que cette biographie romancée de Robert Desnos, poète français né en 1900, mort en1945. Et en plus de faire la connaissance de ce personnage plus qu’attachant, c’est l’occasion de décrire une époque, et la vie nocturne des « Montparnos » menant une vie assez dissolue, où l’heure était à la liberté, à la fête et à l’amour… avant de rencontrer à nouveau la guerre.

C’est d’abord très bien écrit, l’auteur prend le temps de construire de belles phrases, alors à nous lecteurs de prendre le temps de les savourer. De plus, un bout de poème est parfois inséré entre deux paragraphes, toujours à bon escient, ce qui nous fait découvrir la belle poésie de Robert Desnos.

J’aurais bien aimé une préface qui nous explique le processus de création, la part romancée, même si quelques lignes de l’auteur en fin d’ouvrage nous éclaire un peu :

Il fallait demeurer sur le fil ténu de la fiction tout en demeurant la plus fidèle possible à la vérité de l’histoire et des vies de tous les protagonistes. Inventer entre les clous, remplir les blancs, rejoindre la vérité par le biais de la fiction, ou en tout cas une vérité possible. Ce Robert Desnos est le mien, il ne saurait se substituer au vrai ni en épuiser la richesse, mais je veux croire qu’il lui ressemble.

Voilà donc un petit résumé de la vie de Robert Desnos, comme je l’ai appris de ce roman, et surtout de l’époque qu’il aura traversé.

Desnos est un poète, il vit de piges pour les journaux ou de petits boulots, et fait partie du mouvement surréaliste mené par André Breton. Mais très vite ce sera la rupture, car Breton exclu pour un oui ou un non, et ne supporte pas que l’on s’oppose à lui ; Desnos supporte difficilement cet arbitraire. Quand Breton voudra rejoindre le communisme, ce sera la rupture, avec quelques autres : Georges Bataille, Jacques Prévert, Antonin Artaud pour les plus connus.

Côté cœur, Desnos voue un amour à la chanteuse Yvonne George, qui ne lui rend guère, mais l’entraîne sur les chemins de l’opium. Yvonne meurt de tuberculose en 1930. Il va alors rencontrer Youki, une femme libre qui ne se contente pas d’un seul homme, qui aime la nuit et les fêtes… mais qui a sa façon aime aussi Robert. Ils resteront ensemble jusqu’à la fin. Voici un petit portrait bien dressé par l’auteur :

Très à l’aise dans son rôle de maîtresse de maison, Youki les régale d’anecdotes tonitruantes. Elle a le don d’extraire la cocasserie d’une situation, d’en restituer le sel et l’étrangeté. Robert espère toujours qu’elle ne boira pas trop, car l’alcool la déchaîne et ce n’est pas du goût de tout le monde. Quant à lui, il n’est rien qu’il ne lui pardonne. Elle sait effacer d’un mot tendre la cruauté de la veille, d’un baiser la trahison d’un instant. Quand elle est près de lui, elle est là toute entière, dans sa générosité et sa démesure. Elle séduit les hommes en demeurant l’amie des femmes. Quand elle est en paix avec elle-même, il est impossible de ne pas l’aimer.

Au début des années 30, c’est la dèche, il n’y a plus de travail, les conditions de vie sont dure. Puis vient l’heure de la radio, avec le feuilleton de Fantômas et la fameuse « Complainte de Fantômas » qui ponctue chaque épisode. Tout le monde la fredonne, le succès et la popularité sont grands.

Vient alors 1933, avec la montée des nationalismes : Hitler en Allemagne, mais aussi en France avec les ligues d’extrême-droite… Le gouvernement de Daladier tombe lors d’une grosse manif des ligues, il y a plusieurs morts… Vient la contre manifestation de la gauche, socialistes et communistes se rejoignent coude à coude en un flot immense alors que les appareils politiques restaient sur leurs positions (le parti communiste refusait le rapprochement avec les socialistes). Desnos fait la connaissance de Jean-Louis Barrault à cette époque : ils deviendront de grands amis.

Puis en 1936, Léon Blum se fait agresser par des miliciens, mais est élu avec le Front Populaire. C’est alors la guerre d’Espagne, Léon Blum ne peut aider les républicains. sinon le FP éclate, et l’Angleterre menace de rompre le traité d’alliance ! (Blum envoie quand même des armes de manière non officielle). Allemands et italiens ne se gênent pas eux pour armer le général Franco, et plus encore.

C’est la mort du poète Garcia Lorca (qui fait un rêve prémonitoire avec un agneau et des cochons…). Les ambassadeurs et autres politiciens cherchent à préserver la paix à tout prix. Un autre rêve prémonitoire d’une guerre est envoyée à Desnos par une auditrice de la radio… Et la guerre arrive pour de bon.

Les choses se dégradent rapidement. Après un accrochage littéraire avec Céline lors de la parution de « Les beaux draps », Desnos est rétrogradé dans le journal « Aujourd’hui », et devient simple rédacteur littéraire. Il est amené à faire des recherches généalogiques pour prouver qu’il n’est pas d’origine juive, comme le laisse entendre Céline.

Il devient difficile de trouver de la nourriture, l’armée allemande occupe la ville, et certains amis choisissent de passer en zone libre. Desnos lui reste et va s’engager peu à peu dans la résistance, d’abord de manière passive (aidant à fournir de faux papiers, transmettant des renseignements), puis en participant au service « action ». Il est finalement arrêté ; pourtant prévenu de l’arrivée de la Gestapo, il ne tente pas de fuir pour protéger Youki.

À ce moment, la narration du roman change, et c’est Youki, à la première personne qui va nous raconter la suite, jusqu’à la fin.

Le plus dur pour elle est de ne rien savoir : où est-il interrogé (rue des Saussaies), dans quelle prison est-il placé (à Fresnes), puis quel camp (Fontainebleau)… Youki prend des risques pour le savoir, et tente tout ce qu’elle peut pour le faire libérer. Elle croit bien y parvenir en obtenant que Robert soit retiré de la liste qui doit partir en déportation. Mais Alain Lambreaux, un journaliste collabo et antisémite, l’apprend et intervient personnellement pour qu’il soit finalement déporté.

Il survivra à la guerre, mais mourra peu de temps après, affaibli et malade du typhus, alors que la Croix Rouge essaie de soigner les survivants du camp, où Desnos n’est qu’une matricule et un squelette ambulant ; jusqu’à ce qu’un étudiant tchèque, Joseph Stuna, tombe sur son nom en consultant la liste des malades. Il connaît le mouvement surréaliste ; mais il est trop tard, Robert Desnos tombe dans le coma trois jours plus tard. Quand elle apprend la terrible nouvelle, Youki sera soutenue par le noyau dur de ses amis : Paul Éluard, Jean-Louis Barrault et Théodore Fraenkel, alias « le Doc ».

On a vite la larme à l’œil en lisant ces dernières pages. C’était la vie d’un poète éprit de liberté, qui a toujours défendu ses principes au mépris du danger. Sa mort un mois après la libération du camp est terrible.

Gaëlle Nohant, née en 1973 à Paris, est une écrivaine française. C’est son quatrième roman ; le précédent, La part des flammes, a reçu le prix des Lecteurs du livre de poche 2016.

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