Route d’Oxiane – Robert Byron

Route d'Oxiane - Robert Byron La PBP (Petite Bibliothèque Payot) a changé ses belles couvertures granulées pour un simple carton glacé, et c’est bien dommage ! Heureusement, l’essentiel est le contenu, et pour ce récit de voyage, je n’ai pas été déçu.

Oxiane fait référence à une ancienne région le long de la frontière au nord de l’Afghanistan, également appelée Bactriane. Dans ce récit, l’auteur nous raconte essentiellement son voyage en Iran, puis en Afghanistan. Nous sommes en 1933, les conditions de voyage sont parfois difficiles, que ce soit l’hébergement, l’état des routes (s’il y en a), les conditions climatiques (en hiver, on ne passe pas partout), la situation politique, ou tout simplement la dangerosité de la région (bandits).

Cela m’a assez vite rappelé L’usage du monde de Nicolas Bouvier, garantie de qualité pour un tel récit de voyage. Ici, l’auteur s’intéresse principalement aux origines de l’architecture islamique, et j’avais peur que cela ne prenne trop de place dans le récit. Mais non, il y a bien quelques pages parfois « dédiées » au sujet, mais pour le reste, c’est vraiment l’aventure au quotidien.

En Iran, où il est dangereux de parler du Shah en public, il décide alors de l’appeler Marjoribanks tout le long du roman, au cas où ses notes seraient lues. Il s’agit en fait de Reza Chah, qui modernise son pays à grands pas, très dur avec les religieux, ce qui ne le rend pas forcément très populaire. On sait ce qui arriva à son fils qui lui succéda…

Il y a aussi des passages à propos de l’histoire des dynasties qui se sont succédées dans cette région du monde, comme celle de Goharchad, au XVe siècle, la femme de l’empereur de l’empire Timuride, qui marqua son époque par son amour des arts et son destin. Ainsi le voyage se fait dans le temps mais aussi dans l’espace, passant par exemple à Balkh, la mère de toutes les cités, et détruite par Gengis Khan, puis par les bolchevicks.

Un très bon livre de voyage donc, un livre culte selon le quatrième de couverture… Voilà quelques extraits pour vous faire une idée.

Le texte est plaisant à lire, les paysages somptueux, ce qui n’empêche pas un humour très british, comme cette « rencontre » à Kala Julk :

De petits nuages brillent dans le bleu. Nous accédons, par de lentes pentes, à un paysage d’ondulations brunâtres marquetées de labours rouges et noirs, qui abrite dans ses replis des villages fortifiés gris puis va se briser sur les montagnes lointaines en vagues de collines striées de rose et de citron découvrant, plus loin encore, des rangs pressés de dentelures mauves. Les pics jumeaux de Tabriz nous accompagnent, et une nuée de papillons jaunes nous fait escorte. Loin en bas, un cavalier approche. « La paix soit avec vous. » « La paix soit avec vous. » Clip, clop, clip, clop, clip, clop… Nous voici seuls à nouveau.

Les tracasseries administratives peuvent durer des heures voir des jours. Ainsi pour obtenir l’acte de propriété d’une voiture :

Au terme d’une heure d’âpres palabres, j’entrevis la possibilité de l’avoir le lendemain matin. Je me présentai donc le lendemain matin – et l’on me dit à nouveau : trois jours. Mais cette fois, étant seul, je me trouvais en position de force, du fait que je parlais suffisamment de persan pour dire ce que je voulais, mais pas assez pour comprendre un refus. Une fois encore, nous allâmes en troupe voir l’officier de l’autre côté de la rue. On se répandit de pièce en pièce. Le téléphone crachota : le document était né.
Tout cela, permettez-moi de le dire, n’est qu’une bribe, un mince échantillon de ce que fut ma vie durant ces quatre jours.

Sa première tentative pour aller à Kaboul (de Téhéran), se révélera un échec : voyage difficile, diarrhée puis dysenterie, jambe infectée et toute enflée, l’hiver qui arrive et la route qui devient impraticable. Il doit faire demi-tour et va en profiter pour découvrir le sud de la Perse. Retour à Mechhed et à la civilisation :

À l’hôpital américain, on appliqua des ventouses sur ma jambe. Le lendemain matin, à mon réveil, éprouvant le contact de draps propres sur mon menton et trouvant à côté de moi mon petit-déjeuner servi sur un plateau, je me pris à rêver d’un monde oublié.

Toujours à Mechhed, où il y a une sorte de foyer d’accueil pour les réfugiés russes :

L’émigration clandestine russe en Perse se fait au rythme d’un millier de personnes par an. La plupart de ces gens n’ont aucune opposition de principe au système bolchevique : ils veulent simplement manger à leur faim. Si ce qu’ils disent est vrai, des monceaux de carapaces de tortues cernent à certains endroits les habitations ouvrières (la tortue est leur nourriture de base) ; rien d’étonnant dès lors qu’on n’encourage pas les étrangers à visiter l’Asie centrale russe.

Dialogue surréaliste à propos d’une escorte :

– Ne croyez-vous pas, me demanda candidement le Raïs-é-Amniya, qu’il vous faudrait une escorte pour aller à Firouzabad ?
– Je m’en remets pour cela à l’avis de Votre Éminence.
– Je pense qu’il vous en faudrait une. Un homme vous suffirait-il ?
– Sans aucun doute. Je ne suis pas millionnaire, je n’aurais pas de quoi louer des chevaux pour un escadron.
– Naturellement. Qui est millionnaire de nos jours ? Cinq hommes suffiront, j’imagine. Naturellement, ils monteront tous des chevaux de l’État : ce n’est pas ça qui manque. Et cela pourrait faciliter les choses si vous preniez un officier dans l’auto jusqu’à Kavar. Il s’occuperait là-bas de vos chevaux. Je vais lui dire de passer à votre hôtel à cinq heures pour régler tous les détails.
– Votre Éminence est trop aimable. Mais ne pourrait-il passer à huit heures au lieu de cinq, car je sors pour le thé ?
– Certainement. Vos désirs sont des ordres. Je lui dirai de passer à sept.

À propos de l’inconfort :

Thrush, un maître d’école, part aussi pour Kaboul, par la route du Sud. Il a déclaré à l’ambassade qu’il avait soif d’aventures : Shir Ahmad, avec son obligeance coutumière, lui a alors suggéré de se faire passer pour espion russe, et d’échapper ensuite in extremis au peloton d’exécution en produisant une lettre de lui, Shir Ahmad, se ferait un plaisir de rédiger pour cette occasion.
Christopher et moi sommes tombés sur l’individu ce matin, alors que nous discutions des moyens à mettre en uvre pour effectuer ce voyage dans des conditions  de confort acceptables. Il nous a dit qu’il préférait l’inconfort, que sa personnalité s’épanouissait dans l’inconfort. Je connais ces gens-là : quand ils viennent agoniser dans vos bras, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux, et à eux seuls.

Un peu plus loin sur la route, des nouvelles de Thrush :

Le retard pris à Kariz a eu un effet bénéfique : Thrush est entre-temps parti pour Kandahar, laissant dans le livre d’or de Seyid Mahmoud une inscription disant que son établissement était, eu égard aux normes européennes, tout à fait consternant, mais que, rapporté aux normes afghanes, il ne souffrait aucune critique.  Voilà l’homme dont la personnalité d’épanouit dans l’inconfort.

Découverte de la steppe :

Après quelques kilomètres sur la route de Bandar-é-Shah, nous avons pris, sur la droite, une piste bordée d’échaliers. De hauts roseaux masquaient tout à la vue. Et soudain, tel un bateau quittant un estuaire, nous débouchâmes dans la steppe – un éblouissant, un aveuglant océan verdoyant. Je n’avais encore jamais vu cette quantité de vert. Dans les autres verts – vert d’émeraude, de jade ou de malachite, vert profond et tranché de la jungle du Bengale, vert frais et triste de l’Irlande, vert salade des vignobles méditerranéens, vert plein et épanoui des hêtres anglais en été – il y a toujours, en sous-dominante, une trace de bleu ou de jaune. Mais ici, c’était le vert dans son essence pure et inaltérable – couleur de la vie même. Le soleil était doux et tiède, les alouettes chantaient au-dessus de nos têtes. Derrière nous s’élevait le bleu brumeux, alpin, des pentes boisées de l’Alborz. Devant, l’incandescente verdure s’étirait jusqu’aux confins de la terre.

Robert Byron (1905-1941) est un écrivain britannique, auteur principalement de récits de voyage. Il participa activement aux fêtes des Bright Young Things, était particulièrement intéressé par l’architecture, et l’art en général, des pays traversés.

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