Internet ou Minitel ?

internet Vers quoi se dirige Internet ? est-il toujours le réseau libre et décentralisé si souvent vanté ? Rien n’est moins certain, et le futur ne semble pas aller dans cette direction.

Centralisation, concentration, filtrage… Où tout cela mène-t-il ?

Benjamin Bayart, président de FDN (French Data Network : un fournisseur d’accès à internet de type association loi de 1901), maîtrise parfaitement le sujet.
Il avait donné une conférence en 2007 aux Rencontres mondiales du logiciel libre, intitulée « Internet ou Minitel 2.0 » qui fait référence sur le sujet (le lien vers la vidéo est en fin d’article).

Alors que nous dit Benjamin Bayart ? des choses fort intéressantes, mais un peu inquiétantes…

Internet et logiciel libre : même combat

Benjamin Bayart Il commence par rappeler un fait important et pas évident à première vue : Internet et le logiciel libre apparaissent à la même époque, dans les années 70, et connaissent le même essor. En fait ils sont 2 facettes d’un même objet. L’un n’existe pas sans l’autre. A méditer à la lumière de ce qui suit.

Réseau centralisé ou pas

Le réseau Minitel, tous les français s’en souviennent : un réseau centralisé, avec un serveur central contenant toutes les données, et des terminaux qui se connectent.
Autre exemple typique, le serveur de l’université qui héberge tout le contenu, toute la connaissance, et des terminaux qui s’y connectent. Dans ces modèles, on parle de réseau en étoile,  l’intelligence est au centre.

Le réseau Internet lui  n’a pas de point central, il est conçu comme décentralisé, chaque ordinateur connecté est à la fois client et serveur. On parle ici de réseau maillé, l’intelligence est en périphérie.

Le risque du modèle Minitel est celui de la bibliothèque d’Alexandrie, qui finit toujours par brûler, ou comme dans la scène de Rollerball où un scientifique gueule contre un ordinateur : « Cette saloperie m’a perdu tout le XIIIe siècle ! ».

Que voit-on aujourd’hui ?

Les services de VOD (Vidéo à la demande), l’hébergement de votre mail chez votre fournisseur internet, DailyMotion et autres You Tube, Google : tous ces services reposent sur le modèle Minitel. Un serveur central qui contient les données, et vous qui vous y connectez. Idem d’ailleurs pour ce blog, hébergé chez Free : son contenu se trouve sur le serveurs de Free, pas sur mon PC.
En fait, tout ce que l’on utilise quotidiennement sur le Net aujourd’hui est de type Minitel.

Et faire d’internet une autoroute à péage, voilà qui arrangerait bien du monde.

Le modèle économique

Pour accéder au réseau, on paie disons 29, 99 €. Officiellement, c’est pour payer les infrastructures. Mais on va payer toute notre vie cet abonnement. Le cuivre est cher, certes, mais pas tant que ça !

D’autre part, le FAI est censé transporté le contenu de manière neutre, comme La Poste livre le colis de La Redoute. Or ce n’est pas la tendance actuelle. Après le rapprochement fixe-mobile-internet (quasiment terminé), c’est au contenu que les grands groupes vont s’attaquer.

Exemple : Free un beau jour a décidé qu’il ne transporterait plus gratuitement le contenu de DailyMotion. Ce dernier a du payer pour utiliser la bande passante de Free. France Télécom et Neuf Cégétel ont fait pareil dans la foulée.

Quelques années plus tôt, quand Free représentait un poids économique plus faible, il aurait hurlé au scandale, car ces arrangements favorisent les gros, ceux qui peuvent payer. Si Free menaçait Google de la même chose, ce dernier éclaterait de rire et répondrait  « C’est très simple, tu vas disparaître du réseau ».

C’est donc un rapport de force : on ne veut plus transporter le contenu des petits gratuitement, on fait payer les moins gros que soi, et on s’écrase devant les géants. On est loin d’un système égalitaire.

A noter que le modèle économique est intéressant : il s’agit de faire payer aux deux bouts. Vous payez pour accéder à Internet, et DailyMotion paie pour diffuser son contenu. Remarque au passage, c’est le votre de contenu, et quand DailyMotion se fait payer par la publicité, vous ne touchez rien dessus.

Enfin, le A de ADSL signifie asymétrique, qui signifie que votre vitesse d’émission est réduite par rapport à la vitesse de réception : ce choix a été fait alors qu’une solution SDSL (et donc symétrique) existe, mais réservée aux professionnels. On a tout simplement considéré que Madame Michu avait envie de consommer, et pas de produire.

Le filtrage

I love p2p Le p2p si décrié est lui tout à fait dans l’esprit d’internet : utiliser le p2p, c’est utiliser une des fonctionnalités d’internet. Et comme par hasard, c’est un protocole que l’on aimerait bien supprimer.  Si on laisse les choses se faire, il sera bientôt filtré.

Avec le filtrage de la pédo-pornographie, la lutte contre le terrorisme, la neutralité du Net risque d’en prendre un coup. En France, nous avons le projet Hadopi, au niveau de l’Europe le Paquet Télécom. Autant de régressions en termes de liberté.

Certes c’est louable de vouloir filtrer le contenu pédophile. Il existe des tests réalisés en Norvège. Mais dans quel but ? pas pour attraper les pédophiles : les policiers et gendarmes français expliquent qu’ils ont déjà leurs techniques pour cela, le but est de filtrer à la base pour empêcher que les gens tombent dessus, s’y habituent, et finissent pédophiles. Or quand on leur demande si le nombre de cas de pédophilie a statistiquement baissé en Norvège, ils ne savent pas répondre.

Par contre, demain on traquera des ados qui téléchargent des films avec les mêmes techniques mises au point pour les terroristes ou les pédophiles. Et après-demain, que filtrera-t-on ? Le réseau de Vivendi filtrera-t-il les vidéos de Bouygues ?

Le problème, c’est que le filtrage est d’une part très coûteux, d’autre part peu efficace, et enfin risqué. Christophe Espern (la Quadrature du Net), l’a démontré dans son étude :

La note conclut que la solution de filtrage hybride, est d’une efficacité très limitée, implique une régression sur le plan architectural, comme tout filtrage coeur de réseau, et que ses failles connues pourraient conduire à d’importants dommages si elle était mise en production en France.

Chose surprenante, le ministère de l’intérieur ne conteste pas ces limites et risques, mais explique qu’il s’agit avant tout « de lutter contre le sentiment d’insécurité. ». Nous voilà rassurés !

Que faire ?

D »abord informer et éduquer, expliquer ce qu’est Internet. C’est long, et cela prend du temps. Quand l’imprimerie a été inventée, il a fallu du temps et vaincre des résistances avant d’arriver à une presse libre. Les moines copistes voyaient cela d’un très mauvais oeil, tout comme le Roi de France n’aimait pas  que Voltaire ou Montesquieu soient facilement accessibles. Aujourd’hui les éditeurs de DVD ont remplacé les moines copistes, et notre gouvernement préfère le modèle  TF1 qui calme les esprits.

Mais la victoire ne faisait pas de doute… à long terme. Qu’ensuite, à partir d’une presse libre, on puisse produire « Le canard enchaîné », « Le Figaro » ou « 20 minutes », c’est un autre problème.

Ensuite être son propre hébergeur : avoir son propre serveur mail, web, etc… Ce n’est pas simple aujourd’hui, mais essentiellement pour une raison toute bête :  parce que les choix que l’on nous proposent sont volontairement orientés vers une solution centralisée. CQFD ! Pourquoi la « box » de votre fournisseur ne proposerait pas tout cela par défaut ? C’est très simple à réaliser techniquement.

On pense bien entendu au problème de consommation électrique que cela demanderait. Mais la puce d’un téléphone portable est assez puissante pour alimenter un serveur web. C’est donc également faisable, la encore il ne manque que la volonté.

Il existe aussi des solutions d’hébergement mutualisés, comme Autre Net, Tuxfamily ou Ovaton. C’est déjà un pas en avant vers une plus grande liberté.

Sources

Si vous avez le temps, la vidéo de la conférence donnée en 2007 aux rencontres mondiales du logiciel libre par Benjamin Bayart (environ une heure), intitulée Internet libre ou Minitel 2.0. L’occasion de voir que Benjamin Fayard ne manque pas d’humour, mais plutôt à froid.

Un interview récent par une journaliste de Libération, revenant sur le sujet. L’article est disponible ici : Tout le monde a intérêt à transformer Internet en Minitel.

L’étude de Christophe Espern de La Quadrature du Net : Principe, intérêt, Limites et risques du filtrage hybride.

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