Archives de catégorie : Littérature

La mort du roi Tsongor – Laurent Gaudé

La mort du Roi Tsongor de Laurent Gaudé Voilà un petit conte symbolique parfaitement écrit, et bien agréable à lire.

L’histoire se passe en Afrique, dans un royaume imaginaire, le roi Tsongor marie sa fille Samilia. Le royaume est riche, le roi sage (après toutefois un passé guerrier), et des cadeaux somptueux arrivent de toute part. Mais tout va très vite basculer, un trouble-fête arrive sous les traits d’un prétendant à qui Samilia adolescente a prêté serment. La guerre semble inévitable. Le roi va alors mourir, espérant ainsi éviter la guerre. Mais avant, il confiera une étrange mission à son plus jeune fils. Ce dernier ne la comprendra que bien plus tard…

Récit symbolique sur l’homme et son rapport au pouvoir, à la puissance… à l’utilisation de la violence, et le prix qu’il faut en payer un jour. C’est une tragédie que l’on pourrait très bien faire lire à l’école. C’est très bien écrit, dans un style classique et majestueux, comme il se doit d’un récit mythique.

Laurent Gaudé, né le 6 juillet 1972 à Paris, est un écrivain français lauréat du Prix Goncourt en 2004 pour son roman Le Soleil des Scorta.

Mille soleils splendides – Khaled Hosseini

Mille soleils splendides - Khaled Hosseini J’avais été enchanté par le premier livre de Khaled Hosseini, Les cerfs-volants de Kaboul : une belle histoire humaine à travers celle troublée de l’Afghanistan. J’avais également lu sur son blog qu’il projetait d’écrire un nouveau roman, cette fois à propos des femmes : « La lutte des femmes est tellement poignante, tragique, elle mérite une histoire » disait-il.

Voilà donc ce roman, mais je dois dire que j’ai été déçu par son contenu. D’abord l’écriture, faite de phrases courtes, sans inspiration ni élan; puis l’histoire, finalement assez laborieuse, sorte de somme des malheurs que la femme musulmane peut rencontrer (et dieu sait s’il y en a, si je puis dire).

Hélas, on ne retrouve pas la puissance du récit du premier roman. Il me semble que si le premier a été raconté sur une inspiration, probablement en partie autobiographique, le second est écrit par devoir. D’ailleurs, dans ses remerciements en fin de livre, Kalhed Hosseini laisse entendre que l’écriture fût longue et douloureuse… on l’avait malheureusement pressenti.

Tristes tropiques – Claude Lévi-Strauss

Tristes tropiques - Claude Lévi-Strauss Voilà un livre dont tout le monde a entendu parler, d’autant que nous fêtions l’année dernière le centenaire de son auteur, Claude Lévi-Strauss. Mais combien l’ont-ils lu ? j’étais surpris de constater que ni la libraire ni son employé ne l’avaient lu.

J’appréhendais en emmenant ce livre en voyage qu’il ne soit trop difficile à lire, qu’il faille des connaissances sérieuses en ethnologie pour le comprendre, etc…

Je fus vite rassuré. C’est d’abord remarquablement écrit, jusque dans le rythme et la construction des phrases… puis les idées évoquées sont d’une réelle richesse. Ce livre ayant été écrit en 1954-1955, certaines réflexions souffrent d’un léger anachronisme, mais elles relèvent de l’exception : le monde a peu changé depuis, ou plutôt ce que les hommes en font.

La première phrase du livre est :

Je hais les voyages et les explorateurs.

Et pourtant, Claude Lévi-Strauss (CLS) a beaucoup voyagé et exploré, dans des conditions très précaires et parfois au péril de sa vie… Du Brésil à l’Inde, il nous fera partager ses réflexions, à la fois d’ethnologue mais aussi de philosophe puisque c’est sa formation de départ. CLS s’interroge sur notre civilisation et les rapports qu’elle entretient aux autres cultures.

Il rappelle par exemple une chose toute bête : quand une route a été construite, notre civilisation peut réellement arriver et tout changer très vite. Je lisais ce livre au Cambodge, où précisément le pays en est à cette étape : partout de nouvelles routes sont tracées, à grands renforts d’engins de BTP monstrueux, et construites par les chinois (en échange de quel accord économique ? quelle matière première sera pillée ?). Si les Cambodgiens restent à ce jour plus attirés par le hamac que par leur réussite personnelle, s’ils se projettent peu dans l’avenir… combien de temps résisteront-ils ? Cela amène forcément à des réflexions sur le tourisme et ses effets dévastateurs, et donne du sens à cette première phrase du livre.

Sa conclusion est très belle, presque poétique (voir le dernier extrait en fin d’article), il y reprend l’idée de Rousseau (également citée) :

Trouver un juste milieu entre l’indolence de l’état primitif et la pétulante activité de notre amour-propre.

Voilà quelques extraits choisis pour vous faire une idée. Continuer la lecture… Tristes tropiques – Claude Lévi-Strauss

De sang froid – Truman Capote

De sang froid - Truman Capote Voilà le premier bouquin que j’ai lu pendant le voyage. Un terrible fait d’hiver survenu dans les années 50 aux Etats-Unis attire l’attention de Truman Capote. Ce dernier se rend sur place, consulte les rapports, interroge les témoins (puis les accusés), et écrira à partir de ces matériaux une oeuvre de non-fiction, un roman réalité, « a non novel novel ».

Nous sommes  en plein Middle West, et la première partie du roman décrit admirablement l’Amérique « idéale » de cette époque : une petite ville, des fermiers, (certains) riches mais travailleurs, honnêtes, aux valeurs morales fermement établies, et très croyants. Seul l’ennui semble pouvoir émerger de ce monde fermé. Et puis l’horreur qui survient : un quadruple meurtre, une famille entière, sans mobile apparent.

Truman Capote s’attache a un récit journalistique. L’enquête, difficilement, finira par aboutir, et les auteurs du crime, Perry Smith et Dick Hickock, seront finalement arrêtés. Il décrit alors leur profil psychologique, leur enfance, ces personnalités fragiles, terriblement amochées par la vie. On ne ressent finalement qu’une immense peine pour ces deux personnages, paumés, et qui ont commis l’horreur, sans trop savoir pourquoi. Puis vient le procès, dont le titre du roman révèle l’issue. On s’interroge finalement sur la fragilité d’une personnalité, sur notre société et ce qu’elle peut générer.

Truman Capote (1924-1984), de son vrai nom Truman Streckfus Persons, est considéré comme un grand écrivain américain. Il n’écrira qu’une quinzaine de nouvelles, et De sang froid sera son chef d’oeuvre. Norman Mailer dira de lui :

Truman Capote est aussi acerbe qu’une vieille fille de soixante ans, mais à sa façon c’est un petit mec qui a des couilles… et l’écrivain le plus parfait de ma génération : il écrit les meilleures phrases, où chaque terme, chaque rythme est soigneusement pesé.

A propos de « De sang froid », Truman Capote écrira :

Perry et Dick ont été pendus mardi dernier. J’étais là parce qu’ils me l’avaient demandé. Ce fut une épreuve atroce. Dont je ne me remettrai jamais complètement.

Déçu tant par sa carrière que par sa vie, il devient très dépendant de l’alcool et de la drogue. Malgré des cures de désintoxication (sans succès), il meurt à Hollywood en 1984 d’une surdose médicamenteuse.

Le saut du varan – François Bizot

Après avoir lu Le portail, j’ai enchaîné avec « Le saut du Varan », également prêté par la journaliste française. Il s’agit cette fois d’un roman, le premier et le seul à ce jour de François Bizot.

L’histoire se passe au Cambodge, dans la région de Siem Reap et des temples d’Angkor. Le corps d’une jeune fille khmer est retrouvé dans la brousse, et l’ambassade francaise envoie un enquêteur sur place. Nous sommes en 1970, et la région est déjà en plein trouble, la zone du meurtre difficilement accessible.

Boni, le policier, rencontrera sur place Rénot, un ethnologue français, personnage atypique et plein de surprises. Ils vont alors s’enfoncer dans la jungle, accompagnés de deux jeunes filles khmer et d’un guide.
L’aventure les emmènera très loin, dans un village reculé, isolé de la civilisation, au coeur des anciennes traditions khmer ; Boni en ressortira profondément transformé.  La fin du roman est parfaitement amenée, inattendue, et disons terriblement réaliste.

On retrouve le ton de l’auteur, son amour de ce pays et de son peuple, ainsi que ses doutes dans ce que l’on appelle le progrès. C’est toujours admirablement écrit. Excellent roman.

Le portail – François Bizot

L’histoire sombre du Cambodge est à la fois complexe et récente. Bien sûr j’avais entendu parler des Khmers rouges, et de leurs massacres, mais sans plus. En lisant son résumé dans le guide Lonely Planet, j’étais surtout surpris par le fait qu’elle ne s’est terminée qu’en 1998, soit il y a une dizaine d’années.

Presque sans surprise, on retrouve les américains intimement mêlés à ces pages sombres de l’Histoire : en favorisant le coup d’état du général Lon Nol (1970) et mettant ainsi en place un régime corrompu à outrance, en envahissant le Cambodge avec les Sud-Vietnamiens, en bombardant le Cambodge et les populations civiles, ils ont une lourde part de responsabilité dans la naissance du mouvement Khmer rouge. Et ce qu’il en résulta relève réellement de l’horreur, comme seuls les hommes sont capables.

Une journaliste française rencontrée à Siem Reap m’a prêté ce livre de François Bizot, anthropologue francais, spécialiste du bouddhisme de l’Asie du Sud-Est, et qui se trouvait à Angkor à cette époque.

Fait prisonnier en 1971, soit au tout début du mouvement, il sera le seul rescapé du camp de rééducation khmer rouge. Il sera interrogé par Douch, et libéré grâce à lui. Oui, il s’agit bien de celui qui allait, plus tard, devenir le bourreau de la prison de  Tuol Sleng (S-21), et qui est jugé en ce moment même à Phnom Penh pour crime de guerre contre l’humanité.

C’est l’histoire poignante que raconte ce livre, publié en 2000, ainsi que l’évacuation de l’ambassade de France de Phnom Penh, où François Bizot jouera le rôle d’interprète (1975).

Remarquablement écrit, dans un francais très riche (l’homme est très érudit), il permet de comprendre un peu ce qui s’est passé. Douch à cette époque est encore un idéaliste épris de vérité, et leurs dialogues, leur relation sont étonnantes et riches d’enseignements.

Au-delà de l’histoire factuelle, on ressent surtout l’irrémédiabe blessure qu’à vécu François Bizot, tant on ne ressort pas indemne d’une telle aventure. Voici un extrait du prologue du livre qui donne une idée du style et de sa profondeur. La préface de John Le Carré est également magnifique.

J’ai écrit ce livre dans une amertume sans fond. Un sentiment désespéré le traverse. Je ne crois plus qu’aux choses ; l’esprit sait y pressentir ce que leur apparence renferme d’éternel. La philosophie la plus éclairée n’est-elle pas celle qui enseigne à se méfier de l’homme ? De cet optimum, de cette créature suprême, qui forme l’aristrocratie naturelle du mode vivant ? De celui qui porte – quand par exception il devient vraiment lui-même – l’excellent, mais aussi le pire ? Vainqueur  des monstres et monstre lui-même à jamais…

Alors je m’interroge : les religioms que j’étudie seraient-elles l’art d’apprendre à tuer dans son corps le dragon ? Et cette présence diabolique, enfouie en nous et qui ressort toujours, est-elle le péché originel dont on m’enseigna l’existence quand j’étais enfant ?

Je hais l’idée d’une aube nouvelle où les homo sapiens vivraient en harmonie, car l’espoir que cette utopie suscite a justifié les plus sanglantes exterminations de l’histoire.

Pourrons-nous jamais, d’un tel constat, tirer la leçon et nous en souvenir, effrayés, à chaque arrêt sur nous-mêmes ? Notre drame sur terre est que la vie, soumise à l’attraction du ciel nous empêche de revenir sur nos erreurs de la veille, comme la marée sur le sable efface tout dans son renversement.

François Bizot est né à Nancy en 1940. « Le portail » a reçu plusieurs prix littéraires, et a également inspiré un film, « Derrière le portail » de Jean Baronnet (2004).

Le fusil de chasse – Yasushi Iouné

Le fusil de chasse - Yasushi Sinoué Petit roman par la taille (une centaine de pages, je l’ai lu d’une seule traite), mais quel style soigné, épuré, tout empreint de culture japonaise. On y plonge avec délice : l’histoire, son mode de narration qui l’éclaire sous des angles différents, les sentiments exprimés… Tout révèle la parfaite maîtrise de l’auteur.

L’histoire commence de façon originale : le narrateur (écrivain, poète, aucunement intéressé par la chasse) adresse un poème intitulé « Le fusil de chasse » à la revue « Le Compagnon du Chasseur », pour rendre service à un ami d’enfance, directeur de la dite revue.

Le poème lui a été inspiré par un homme croisé quelques mois auparavant : le fusil sur l’épaule, marchant lourdement sur un sentier sinueux, et dont pourtant émanait quelque chose de contemplatif, chose rare chez les chasseurs. Le poème lui-même évoque un rapprochement entre un fusil de chasse et l’isolement d’un être humain…

Plusieurs mois passent, puis il reçoit l’étrange courrier d’un homme qui s’est reconnu dans le poème, et lui enjoint de lire 3 lettres qui lui furent adressées : l’une par la fille de sa maîtresse récemment décédée, la deuxième par son épouse, et la dernière par sa maîtresse elle-même. Nous allons donc lire ces trois lettres, et découvrir trois narrations des mêmes évènements, mais vécus différemment, en fonction de ce que chacune sait, ne sait pas, ou a découvert. Les trois lettres se complètent adroitement et dressent un tableau complet.

Beau roman, où chaque mot est soigneusement pesé, et chaque sentiment parfaitement exprimé.

Yasuhsi Inoué (1901-1991) fut poète, romancier et nouvelliste. Très populaire au Japon, il a écrit un grand nombres de romans et de nouvelles dont les thèmes sont souvent historiques, tous minutieusement documentés.

Les saisons de la nuit – Colum McCann

Les saisons de la nuit - Colum McCann Quand j’ai commencé ce roman, je me suis vite rendu compte que l’histoire ne m’était pas étrangère. Et pour cause, j’avais déjà lu ce roman, il y a pas mal d’années certes, mais je l’ai retrouvé dans une pile, et avec la même couverture en plus, alors pas d’excuse… Ceci dit, je l’ai relu avec plaisir.

L’histoire commence au début du siècle (1916), à New-York où des ouvriers creusent un tunnel sous l’Hudson. Les conditions de vie sont difficiles à cette époque. Un accident survient, et quatre ouvriers vont être happés puis rejetés par le fleuve. Nathan Walker, jeune noir de dix-neuf ans, va en réchapper, mais pas son pote Con O’Leary.

Bien des années plus tard, en 1991, ce même tunnel est occupé par des sans-abris, et l’hiver particulièrement rigoureux cette année-là. Treefrog (c’est son surnom) est l’un deux, perdu dans un monde emplit de rituels complexes et immuables. Obsédé par la symétrie et l’espace, il dessine d’étranges cartes. Sans doute une manière de se raccrocher à un semblant de raison dans ce monde dur et sans espoir.

Treefrog est en fait le petit-fils métis de Nathan Walker, qui s’était marié avec la fille de son pote Con, chose peu acceptée à cette époque où la ségrégation est de rigueur. Par des aller-retours entre le passé et le présent, c’est l’histoire de ces trois générations que l’on va suivre, le passé expliquant dans la mesure du possible la situation présente.

C’est bien écrit, et les mots frappent juste, décrivant un monde d’ouvriers malmené vivant en marge de la cité prospère. Colum McCann nous dresse un tableau prenant et émouvant de ce milieu, par le biais d’une histoire complexe. Le dernier mot du livre est « résurrection », et c’est Treefrog qui le soupèse sur le bout de sa langue en sortant du tunnel, ayant fait la paix avec lui-même et son passé.

Colum McCann, né en 1965 à Dublin, est un écrivain irlandais. Journaliste de formation, il a parcouru les Etats-Unis en multipliant les petits boulots, puis est parti vivre au Japon, avant de revenir à New-York où il vit aujourd’hui.

Là où les tigres sont chez eux – Jean-Marie Blas de Roblès

Là où les tigres sont chez eux - Jean-Marie Blas de Roblès Ce n’est pas impunément que l’on erre sous les palmiers, et les idées changent nécessairement dans un pays où les éléphants et les tigres sont chez eux.
– Goethe, « les Affinités électives » –

Telle est la citation en incipit du livre, et qui explique le titre. « Une pépite ! », c’est comme ça que le libraire me l’a présenté. « Une grosse, alors… » lui ai-je répondu tandis qu’il me montrait un exemplaire (près de 800 pages, un bon kilo). Ce n’est que plus tard que j’ai su qu’il avait reçu le prix Médicis, prix destiné à récompenser un premier livre, ou un auteur dont le talent n’a pas encore été reconnu. Il a également reçu le Prix du jury Jean Giono et le Prix du roman Fnac la même année.

Et je n’ai pas été décu. Le personnage central du roman, correspondant de presse au fin fond du Brésil, doit lire un manuscrit de l’époque baroque, intitulé « Vie d’Athanase Kircher » (ce personnage a réellement existé). Sorte de savant fou et génial, mais jésuite et croyant donc fermement en Dieu.
La première partie de chaque chapitre y est consacré, et l’on suivra sa vie trépidante. Inventeur génial genre Léonard de Vinci, à l’intellect impressionnant, touche-à-tout, écrivant des sommes sur l’univers, le symbolisme de la lumière, la médecine chinoise, j’en passe et des meilleures. Il croit même déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens… Mais son acharnement à vouloir tout ramener à Dieu dans cette approche malgré tout scientifique génère souvent des conclusions erronées.
La seconde partie de chapitre est consacrée aux histoires parallèles du personnage central, Eléazard, d’Eleine son ex-femme partie en expédition géologique dans la forêt amazonienne, et de Moéma, leur fille, étudiante délurée à la recherche d’elle-même à l’autre bout du Brésil. Et il va s’en passer des choses…

Si les histoires contemporaines ont des liens, la vie d’Athanase Kircher semble n’en avoir aucun… je commençais même un peu à me lasser de ses élucubrations… mais quand on comprend ce que vient faire ce manuscrit dans ce qui se passe au Brésil… ouf, on est scotché ! C’est très bien écrit, un roman fleuve a l’intrigue parfaitement menée et maîtrisée. Une pépite finement ciselée !

Jean-Marie Blas de Roblès, né en 1954 en Algérie Française. Etudes de philosophie et d’histoire, écrivain, il se définit comme « voyageur érudit, archéologue de terrain » sur son site. Il a apparemment pas mal bourlingué.

Le week-end – Bernhard Schlink

Le-week-end - Bernhard Schlink Enthousiasmé par « Le liseur », déçu par « Le noeud gordien », je me suis tout de même laissé tenté par ce dernier livre de Bernhard Schlink : « Le week-end ».

Le sujet est d’actualité, puisqu’il s’agit d’un membre de la Fraction Armée Rouge, libéré par le président de la République allemande. On a vu récemment en France la conséquence d’une simple déclaration à la presse de Jean-Marc Rouillan, ancien membre d’Action directe (rassurez-vous, ce n’est pas notre président de la République qui l’avait grâcié !). N’exprimant aucun regret, ce fût un retour direct à la case prison. Ça m’avait frappé, le fait que ce soit l’absence de regret qui finalement avait choqué le plus et motivé la sanction, immédiate et lourde. On veut bien pardonner, mais il faut quand même pas déconner : il nous faut des regrets !

C’est un peu le sujet du bouquin : Jörg va passer son premier week-end de liberté dans une maison à la campagne, où sa soeur a invité ses amis d’enfance. Son avocat est également présent, ainsi que Marko, membre d’un groupuscule révolutionnaire qui aimerait bien que Jörg les rejoigne. Le fils de Jörg, qui a toujours ignoré voir renié son père, arrivera un peu plus tard.

Et c’est toute la difficulté d’un tel passé, et d’un retour dans le monde vingt ans plus tard qui est abordé dans ce livre. Tout a changé, les amis d’enfance ont fait leurs vies, trouvé leur place dans la société, mis leurs idéaux dans leur poche, et le mouchoir par dessus. Jörg, lui, avait franchi le pas, était passé de l’autre côté : attentats, meurtres. Puis vingt ans en prison, largement le temps de réfléchir à ses actes.

Alors les langues vont se délier peu à peu, on apprendra qui a trahi Jörg lors de sa capture, mais c’est presque anecdotique. C’est surtout la difficulté d’exprimer ne serait-ce qu’une attitude rationnelle, avoir un avis raisonné après avoir participé à de tels actes, qui est traitée. Comment justifier ce que l’on a fait quand à cette époque on était en guerre contre la société, l’Etat ? Et peut-on réellement y revenir après la violation de ce qui est l’essence même de la société ? Que devient l’amitié ? Le pardon est-il souhaité, les regrets seulement possibles ? Que répondre aux questions posées sans se renier ou mentir ?

Bon bouquin, bien écrit, qui traite admirablement un sujet plus compliqué qu’il n’y parait. L’impression finale, en tout cas la mienne, c’est que le retour n’est guère possible.