Archives de catégorie : Littérature

Millenium people – J.G. Ballard

Millenium people - J.G. Ballard Et si la middle-class se révoltait, entrait en rébellion ouverte avec la société ? Le quartier résidentielle de la «marina de Chelsea» est en effervescence, les mouvements de protestation se multiplient contre cette société en crise. Des actes gratuits, médiatisés, sèment peu à peu la pagaille. Si la bourgeoisie se révolte, où va-t-on ?

C’est le point de départ de ce roman, traité avec un humour bien anglais. Un attentat à Heathrow va amener David Markham, psychologue, à infiltrer les révoltés de Chelsea. Le groupe serait-il manipulé par des terroristes beaucoup plus dangereux ? Qui est ce mytérieux médecin qui les a amenés à se révolter ?

C’est un portrait décalé de notre société médiatique et son absence de sens. Les personnages, cadres supérieurs, ont bien du mal à assumer la vacuité de leurs vies, et sont tous très (trop) perturbés… Le roman se lit agréablement. Sans plus. Probablement trop britannique à mon goût, avec ces personnages improbables dont les problèmes égocentriques et/ou existentiels n’intéressent personne à part eux-mêmes.

James Graham Ballard est un écrivain anglais, né en 1930 à Shanghaï. Lors de l’invasion de la Chine par le Japon, il passera trois ans en camp de détention pour civils. Il racontera son histoire dans L’empire du soleil, dont Spielberg fera un film. Puis il écrira plusieurs romans de science-fiction. Il est célèbre pour son roman Crash!, adapté au cinéma par Cronenberg cette fois-ci. Un roman que je n’avais pas terminé à l’époque, avec là encore des personnages plus que perturbés.

Le travail de la nuit – Thomas Glavinic

Le travail de la nuit - Thomas Glavinic C’est l’histoire de Jonas qui un beau matin, voulant se rendre à son travail, se rend compte qu’il n’y a plus de bus, ni personne pour le prendre d’ailleurs. Plus de radio, de tv, personne au bout du fil…En fait, il semble bien être le seul (le dernier ?) être vivant sur la planète. Pas âme qui vive, à perte de vue. Plus de vie animale non plus. Seul.

Commence alors une longue narration, plutôt bien écrite, qui nous emmènera au bout de 400 pages à un épilogue guère surprenant. Le démarrage est lent, si tant est qu’il ait démarrage… certes, il n’y a pas grand chose à faire dans une telle situation… Alors Jonas s’observe. Et des choses bizarres se produisent, durant son sommeil, lors d’une folle course en voiture, et d’autres encore. Si elles maintiennent l’intérêt du lecteur, elles ne seront jamais expliquées. Très énervant.

En fait, on se sait pas pourquoi Jonas fait telle ou telle action, ni ce qu’il a en tête… A-t-il une stratégie ? l’auteur n’explique rien, se contente de décrire ce qu’il fait et où il va. Déçu donc… en en parlant avec la libraire qui m’avait proposé ce livre, elle disait s’être complètement immergée dans la situation angoissante de Jonas, à savoir se retrouver seul au monde.

Ne le sommes-nous pas d’ailleurs, même entouré de personnes ? c’est peut-être ce que veut montrer l’auteur. A moins que ce ne soit l’inverse, que l’on ne peut pas vivre seul, que nous ne sommes rien sans les autres. Ou alors les deux ? À vous de voir…

Thomas Glavinic est né en 1972 à Graz (Autriche). En 1987, il devient n°2 des joueurs d’échec autrichien de sa classe d’âge. Chauffeur de taxi, il a également travaillé dans la pub, avant de s’adonner totalement à l’écriture.

Le testament français – Andreï Makine

Le testament francais - Andreï Makine Très beau roman que celui-ci, que m’avait conseillé Jeff, le marin rencontré au Cambodge. J’ai suivi son conseil, et ne le regrette pas. Il se trouve que le roman a reçu le prix Goncourt et Médicis en 1995 (ainsi que le Goncourt des lycéens !). Ceci explique certainement cela.

Un enfant russe passe ses vacances au fin fond de la Sibérie, chez sa grand-mère Charlotte, fille d’une mère française ayant émigré en Russie il y a bien longtemps. Au cours des longues soirées d’été, elle va lui raconter ses souvenirs parisiens, piochant parfois dans une vieille valise mystérieuse une coupure de presse, une photo de l’époque.

Ces évocations enflammeront l’imaginaire de l’enfant… ainsi l’inondation de 1910 transforme Paris en nouvelle Atlantide, émergeant des eaux… Que Charlotte dise « Oh, Neuilly à cette époque n’était qu’un simple village… », et la voilà composée d’une douzaine d’isbas (maisons traditonnelles russes construites en bois), des quelques paysans et d’un troupeau qui se dirige lentement vers l’étable…

L’imagination du lecteur se laisse également emporter…

L’enfant va grandir, s’imprégnant ainsi de culture française, pour s’en affranchir à l’adolescence et peu à peu trouver sa véritable identité russe, à travers ce siècle mouvementé où l’histoire familiale s’entrechoque avec la grande histoire.

La Russie, tel un ours après un long hiver, se réveillait en moi. Une Russie impitoyable, belle, absurde, unique. Une Russie opposée au reste du monde par un destin ténébreux.
Oui, si à la mort de mes parents, il m’arriva de pleurer c’est parce que je me sentis Russe. Et que la greffe française se mit à me faire, par moments, très mal.

C’est remarquablement écrit, l’évocation de l’identité française comme celle de la Russie avec ses grandes steppes, l’immensité de ses horizons, parfaitement transcrites, pleines de poésie. Le récit parfaitement maîtrisé réserve une surprise finale, fermant le cercle… et donnant presque envie de recommencer au début.

Andreï Makine est un écrivain français né en Sibérie en 1957. En 1987, à la faveur d’échanges culturels entre la France et la Russie, il demande et obtient l’asile politique, puis la nationalité française en 1996.

Les falsificateurs – Antoine Bello

Les falsificateurs - Antoine Bello Un bandeau vert entourait le livre que me montrait le libraire : «précède LES ECLAIREURS, prix france culture-télérama 2009». Ce dernier n’est pas encore disponible en format poche, mais « Les falsificateurs » oui. Et puisqu’il vaut mieux commencer une histoire par son début, j’ai donc pris celui-ci.

Un jeune diplomé en géographie se fait engagé par un cabinet d’études environnementales. Jusque là tout va bien. Très vite, son supérieur lui propose de travailler pour une organisation secrète, d’envergure mondiale, et dont les missions consistent principalement à établir de faux rapports, j’ai nommé le CFR : Consortium de Falsification de la Réalité. Altération de documents existants, production de faux, tout cela afin de modifier le cours de l’histoire sans jamais apparaître au devant de la scène médiatique.

Jeune homme honnête, Sliv Dartunghunver va vite comprendre qu’il est essentiel de connaître les buts de cette mystérieuse organisation. Hélas, c’est précisément la seule chose qu’il est inutile de demander, seuls les plus hauts dirigeants les connaissent. Le comité directeur du CFR réfléchit au sens de l’histoire. Il en découle un Plan par le biais de directives. A eux d’intégrer ces directives dans leurs productions.

Et Sliv va faire ce qu’on lui demande, sans en comprendre les buts finaux, se bornant tout de même à quelques états d’âme. Lorsqu’il se croira impliqué dans un meurtre (en fait le CFR le teste), il démissionnera mais reviendra six mois plus tard. Car ce travail le fascine, il est doué, et il grimpe vite dans la hiérarchie… son but est d’arriver au sommêt pour enfin comprendre. Triste comportement d’un type qui en fait accepte d’obéir à une autorité sans comprendre ses actes et de mettre ses idéaux dans sa poche parce qu’il en retire des bénéfices.

Le problème du roman, c’est qu’on a du mal à accrocher à cette histoire de gigantesque manipulation prétendant « modeler » l’Histoire humaine. Passe encore les scénarios de falsification imaginés, peu crédibles, où l’auteur s’en donne à coeur joie, de la chienne Laïka à Christophe Colomb, en passant par les bushmen du Kahalari. J’aurai préféré moins de scénarios et plus d’élaboration. Mais le discours du directeur du Plan, homme pourtant sage et avisé, présente un « sens de l’histoire » très libéral… Extraits :

Nous sommes extraordinairement confiants sur l’avenir de l’humanité. Tous les indicateurs sont que nous utilisons – et que nous avons pour certains reconstitués sur plusieurs siècles – sont au vert : mortalité infantile, espérance de vie, alphabétisation, nombre de victimes des guerres de religion ou des épidémies évoluent tous dans le bon sens. L’économie de la planète connaît une expansion sans précédent, nourrie par le développement du commerce internationnal et l’innonvation technologique. Cela ne signifie évidemment pas que chacun profite également de la mondialisation. Le Japon, certaines nations européennes qui ont à la fois perdu le goût du travail et celui de faire des enfants ont du souci à se faire. Les français qui n’ont que le mot de redistribution à la bouche n’arrivent pas à se résoudre à partager leur richesse avec des Indiens ou des Chinois. Et pourtant, pour un emploi qui disparait à l’Ouest, ce sont dix familles qui sortent de la pauvreté en Inde.

Et Sliv avale tout ça d’un trait :

Le progès de l’humanité passe par l’assimilitation et jamais par le rejet. […] Si la Chine tardait à se libéraliser, c’était sans doute qu’on ne pouvait pas diriger – au moins en cette fin de XXe siècle – un pays de plus d’un milliard d’habitants comme on dirigerait le Danemark ou Singapour. Si les néo-conservateurs américains gagnaient en influence, c’est sans doute parce qu’ils n’avaient pas tout à fait d’affirmer que les Etats-Unis assuraient désormais seuls la sécurité de la planète, mission dont semblait s’être graduellement déssaisie l’Europe dont la protection sociale absorbait une part grandissante de la richesse. […] Sans doute exprimait-il mieux que je n’aurais su le faire cette sensation que j’éprouvais confusément d’assister à l’apparition d’une civilisation mondiale, civilisation à qui il restait à trouver son mode de gouvernance, mais qui semblait plus unie que jamais autour de quelques principes clés comme la liberté, la science et l’abondance matérielle.

Tout va bien donc, vive la mondialisation et la société de consommation !

Cette vision ultra-libérale de la société parfaite me laisse plus que septique : sortir de la pauvreté… pour entrer dans la misère ? Pas un mot sur l’accroissement des inégalités qu’un tel système implique. L’auteur me semble largement dépassé par son sujet.

Antoine Bello est un écrivain français né en 1970 à Boston et qui vit à New York. Je découvre à l’instant sur wikipedia qu’en 2007, il s’est engagé en faveur du candidat Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle. Je comprend mieux maintenant cette vision libérale du monde…

Finalement, je n’ai pas envie de connaître les buts du CFR. Les éclaireurs peuvent attendre.

Mort à crédit – Céline

Mort à crédit - Céline C’est le deuxième livre de Céline que je lis, après « Voyage au bout de la nuit », véritable chef d’oeuvre littéraire doublé d’une terrible et efficace critique de la guerre et du colonialisme.

Avec Mort à crédit, on fait connaissance avec ce qui deviendra le style si particulier de Céline, à savoir écrire comme on parle. Les phrases sont courtes, au milieu de points d’exclamation et de suspension…  l’argot largement utilisé… C’est un peu déconcertant au début, puis l’histoire se développant, on est vite complètement accroché.

L’histoire, c’est l’enfance de Ferdinand Balardu (alter-ego de Louis-Ferdinand Céline), dans le Paris de la fin du XIXe siècle. L’univers des petites gens de cette époque est sordide, la vie est dure, les conditions d’hygiène loin de nos critères actuels. Surprenant de penser que c’était il y a tout juste cent ans… On est au tournant de l’industrialisation, les petits métiers disparaissent, et ce n’est guère surprenant que des utopies égalitaires soient nées à cette époque. La grande guerre viendra peu après, autre manière de régler le problème les inégalités.

Et le petit Ferdinand, entre un père violent et une mère pleureuse, est balloté dans ce monde qu’il ne comprend pas. Lui est plutôt lunatique, fait de son mieux pour ne pas déplaire, mais à chaque fois c’est la catastrophe. Il cherche désespérément du travail, mais quand il en trouve, il est alors victime de sa naiveté ou de la malhonnêteté des autres. Son désintérêt total envers cette vie n’arrange rien.

Quand je revenais de mes longs périples, toujours infructueux, inutiles, à travers étages et quartiers, il fallait que je me rafistole avant de rentrer dans le Passage, que je n’aie pas l’air trop navré, trop déconfit pendant les repas. Ça aurait plus collé du tout. C’est une chose alors mes dabes qu’ils auraient pas pu encaisser, qu’ils avaient jamais pu blairer, qu’ils avaient jamais pu comprendre, que je manque, moi, d’espérance et de magnifique entrain… Ils auraient jamais toléré… J’avais pas droit pour ma part aux lamentations, jamais !… C’étaient des trucs bien réservés, les condoléances et les drames. C’était seulement pour mes parents… Les enfants, c’étaient des voyous, des petits apaches, des ingrats, des petites raclures insouciantes !… Ils voyaient tous les deux rouge à la minute que je me plaignais, même pour un tout petit commencement… Alors c’était l’anathème ! le blasphème atroce !… le parjure abominable !…

Ultime sacrifice des parents, il va être envoyé en Angleterre pour apprendre l’anglais, avec l’espoir de pouvoir trouver un emploi dans le commerce à son retour. Mais c’est déjà trop tard, il y passera six mois sans ouvrir la bouche, ayant déjà compris que parler n’attirait que des ennuis…

Je me laissais pas embringuer… J’étais plus bon pour la parlote… J’avais qu’à me rappeler mes souvenirs…. Le gueuloir de la maison !… les limonades avec ma mère !… Toutes les vannes que l’on peut vous filer avec en paroles ! Merde ! Plus pour moi ! J’avais mon sac !… J’en étais gavé pour toujours des confidences et des salades !… Salut ! J’en gardais des pleines brouettes… Elles me remontaient sur l’estomac, rien qu’à essayer… Ils m’auraient plus…. C’était «la classe» ! J’avais un bon truc pour me taire, une occasion vraiment unique, j’en profiterais jusqu’à la gauche… Pas de sentiments ! Pas d’entourloupes ! Elles me faisaient rendre moi leurs causettes… Peut-être encore plus que les nouilles… Et pourtant, il m’en venait du rabe rien que de penser à la maison…

Puis il sera embauché par Courtial, inventeur improbable et escroc avéré, où il trouvera sa place pour un temps, lui servant de commis et d’homme à tout faire au long d’aventures cocasses et rocambolesques. Ainsi lorsqu’il doit expliquer aux inventeurs ayant souscrit à un concours (bidon) organisé par Courtial que ledit concours est suspendu :

J’abordais les gars par la bande… Je commençais par leur demander si ils avaient pas reçu ma lettre ?… pour leur annoncer ma visite ?… Non ?… Ils avaient un petit sursaut… Ils se voyaient déjà les gagnants ! Si c’était l’heure de la tambouille, on m’invitait à partager ! Si ils étaient en famille, alors ma jolie mission, ça devenait devant tant de personnes d’une délicatesse extrême !… Il me fallait des trésors de tact ! Ils avaient fait des rêves d’or !… C’était un moment hideux… Fallait pourtant que je les dissuade… J’étais venu exprès pour ça… J’essayais d’y mettre bien des nuances !… Quand le hoquet les prenait, l’envie de brifer leur passait… Ils se redressaient hypnotisés, le regard figé par la stupeur !… Alors je surveillais les couteaux… Y avait du vent dans les assiettes !…. Je m’arc-boutais le dos au mur !… La soupière en guise de fronde !… Prêt à bloquer l’agresseur !… Je poursuivais mon raisonnement. Au premier geste un petit peu drôle, c’est moi qui déclenchait le bastringue ! Je visais mon fias en pleine bouille !… Mais, dans la plupart des endroits, cette attitude fort résolue suffisait à me préserver… faisait réfléchir l’amateur…. Ça se terminait pas trop mal… en congratulations baveuses… et puis grâce à la vinasse, en choeur de soupirs et roteries… surtout si je déchais les deux thunes !…

J’ai lu sur Wikipedia que Frédéric Dard admirait le style de Céline; en lisant ce livre, je pensais aux dialogues de Michel Audiard… on y trouve la même truculence. Il n’y a nulle trace d’antisémitisme dans ce roman; sous des anecdotes fort drôles, c’est la misère de la condition humaine qui finalement ressort.

Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) est un médecin et écrivain français, le plus traduit et diffusé dans le monde parmi ceux du XXe siècle après Marcel Proust. A partir de 1930, il se rapproche de l’extrême droite française. Auteur de pamphlets antisémites, puis ouvertement pro-nazi pendant l’occupation, il sera contraint à l’exil à la libération, puis amnistié en 1951. Il meurt à Meudon d’une rupture d’anévrisme.

Nouvelles Tome 2 /1953-1981 – Philip K. Dick

philip k. dick- nouvelles tome 2 J’avais commencé ce second tome des nouvelles de Philip K. Dick il y a un bon bout de temps. Si j’ai aimé la première période (1953-1963), en revanche la deuxième (1963-1981) me passionnait beaucoup moins. Plus j’avançais dans le livre (et dans le temps), moins les nouvelles me plaisaient. Je l’avais donc mis de côté, pour ne le finir que récemment.

Depuis ses débuts, les deux questions fondamentales de l’oeuvre de K. Dick étaient « qu’est-ce que la réalité ? » et « qu’est ce qu’être humain ?« . Mais vers 1974, il vit une expérience mystique qui lui fera ajouter une troisième question : « qu’est-ce que la divinité ?« . En 1980, il écrira Siva, premier tome de sa trilogie divine. Je me rappelle l’avoir lu à cette époque, c’est quand même complètement « barré », c’est le moins que l’on puisse dire.

C’est un peu la même chose avec les nouvelles de cette époque : une fois terminées, on se demande ce qu’il a voulu raconter. Son expérience mystique, la prise d’amphétamines, sa tendance paranoïaque l’emmènent dans une direction où il est difficile de le suivre.

Philip K. Dick meurt en 1981 d’un malaise cardiaque, quelques jours avant la sortie au cinéma de Blade Runner de Rifley Scott, tiré de son roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?

J’ai particulièrement aimé cette nouvelle : Continuer la lecture… Nouvelles Tome 2 /1953-1981 – Philip K. Dick

Les enfants de minuit – Salman Rushdie

Les enfants de minuit - Salman Rushdie Je n’avais jamais rien lu de Salman Rushdie, et le libraire semblait sûr de lui avec ce second roman, écrit en 1981, et qui apporta la notoriété à son auteur, tout cela bien avant l’histoire des Versets sataniques, en 1988. Aucun doute, il maîtrise l’art de la narration, et c’est parfaitement écrit. Toutefois je n’ai pas vraiment accroché.

Saleem Sinai nait à minuit, le jour de où l’Inde accède à l’indépendance. Il va nous conter sa vie, inextricablement liée croit-il à l’histoire de son pays, mêlant l’Histoire (avec un grand H) à la sienne, totalement burlesque et délirante.

C’est ce mélange que je n’ai pas aimé : l’auteur a plus tendance à se servir de l’Histoire pour les besoins de son récit que d’en approfondir les causes. Car avec l’indépendance vient la partition entre l’Inde et le Pakistan, puis l’assassinat de Ghandi, la guerre indo-pakistanasie, l’indépendance du Bangladesh… Autant de faits que l’auteur, les connaissant parfaitement, aurait pu placer au coeur de son récit, plutôt que cette histoire d’enfants de minuit peu crédible et ne tenant guère la route (car Saleem Sinai n’est pas seul à être né à minuit en Inde, et tous ces enfants communiquent de façon mystérieuse… au gré des besoins de l’auteur).

On peut objecter que c’est le propre de l’Inde, ce mélange des genres, où rien ne semble impossible et où le réel côtoie de près le magique. D’accord, c’est une saga baroque et burlesque, et on ne s’ennuie pas… mais à mon goût, il y avait certainement mieux à faire avec cette Histoire. Et puis, le narrateur s’adresse parfois directement au lecteur, c’est assez habilement fait et montre la maîtrise dans la narration de l’auteur, mais bon, à part ça… cela me parait inutile et un peu prétentieux.

Salman Rushdie est un romancier britannique d’origine indienne, né à Bombay en 1947. Il vit au Royaume Uni depuis l’âge de quatorze ans. Dixit Wikipedia : «Son style narratif, mêlant mythe et fantaisie avec la vie réelle, a été qualifié de réalisme magique.». Donc voilà, je ne dois pas aimer ce style.

La montagne de l’Âme – Gao Xingjian

La montagne de l'âme - Gao Xingjian Gao Xingjian est né en 1940 en Chine. Dans les années 80, il s’impose comme écrivain et dramaturge. En 1987, il s’exile en France, victime d’attaques politiques violentes. En 2000, il reçoit le prix Nobel de littérature pour son oeuvre. Il est citoyen français depuis 1997.

Voilà un roman qu’il est difficile de comparer à un autre. Les personnages ne sont définis que par un simple pronom, et l’on se  demande au fil des chapitres s’il s’agit de la même personne ou d’une autre ? Peu importe en fait, l’essentiel est ailleurs. Et comme tout s’emmêle entre rêve et réalité, entre quête intérieure et vie réelle, l’auteur s’en explique quand son personnage rencontre un critique littéraire :

— Quelle que soit la manière dont vous racontez vos histoires, il faut qu’elles possèdent un personnage principal, non ? Un roman doit en tout cas avoir plusieurs personnages principaux, tandis que chez vous ?…
— «Je», «tu », «elle» et «il» dans mon livre ne sont-ils pas des personnages ? demande-t-il.
— Mais ce ne sont que des pronoms personnels. Utiliser différentes approches de description ne dispense pas de faire le portrait des personnages eux-mêmes. Même si vous considérez ces pronoms personnels comme des personnages, votre livre ne comporte aucune figure nette. Et l’on ne peut pas parler de descriptions non plus.
Il dit qu’il ne peint pas de portraits.
— C’est juste, le roman, ce n’est pas la peinture, c’est l’art du langage. Mais croyez-vous que le bavardage de vos personnages entre eux puisse remplacer le fait de les camper solidement ?
Il dit qu’il n’a pas non plus l’intention de camper le caractère de qui que ce soit, il ne sait pas lui-même s’il a un quelconque caractère.

Alors l’histoire… Un homme voyage à travers la Chine, il n’est plus tout jeune, et cherche à rejoindre un lieu mythique : Lingshan, la Montagne de l’Âme… ou est-ce une forêt primordiale où l’homme n’a jamais encore pénétré ? que cherche-t-il vraiment ? l’amour ? le bonheur ? peut-être tout simplement à comprendre ce qu’il est. Et cette quête symbolique se déroule à travers une Chine en post-révolution culturelle, et toujours ancrée dans son passé, empli de légendes et de traditions.

C’est un magnifique roman sur l’existence… L’auteur maîtrise la narration et vous emmène dans ce voyage. Il suffit de prendre le rythme, et de se laisser emporter.

Quelques extraits : Continuer la lecture… La montagne de l’Âme – Gao Xingjian

L’ombre du vent – Carlos Ruiz Zafón

L'ombre du vent - Carlos Ruiz Zafón Le jour de ses dix ans, par un matin brumeux, un libraire emmène son jeune fils, Daniel Sempere, dans un lieu mystérieux : le Cimetière des Livres Oubliés… Là, comme le veut la tradition, il devra « adopter » un livre afin de le sauver de l’oubli.

Le livre que choisira Daniel (L’ombre du vent de Julien Carax) va emmener cet adolescent dans une longue quête à travers le Barcelone d’après-guerre, sous l’ère de Franco, dans un intrigue parfaitement menée et passionnante. Car quelqu’un s’évertue à détruire toutes les oeuvres de cet auteur par ailleurs disparu…

Un très bon livre, facile à lire, que l’on a de plus en plus de mal à « lâcher » au fur et à mesure de l’avancement de l’histoire, vraiment passionante et ne se dévoilant qu’au fil des pages.
Un seul petit bémol sur la scène finale, que je trouve un peu loupée, l’auteur ayant voulu à tout prix y faire participer Daniel, sans grand intérêt pour l’histoire, et perdant je trouve en crédibilité. Je suis certain que l’ignoble Fumero pouvait être terrassé sans son aide… 😉

Carlos Ruiz Zafón est né en 1964 à Barcelone. Il habite depuis 1993 à Los Angeles où il écrit des scénarios de films. A lire «L’ombre du vent», on n’est pas vraiment surpris, car il semble maîtriser l’art du suspense.

Beaux seins, belles fesses – Mo Yan

Beaux seins, belles fesses - Mo Yan Ce livre est le «Cent ans de solitude chinois», dit-on, sans doute avec raison : une fresque incroyable mélangeant Histoire et légendes, au coeur de la Chine profonde.

Jintong est le dernier enfant de Shangguan Lushi, et le seul garçon : il a par contre huit soeurs ! Sorte d’anti-héros, il passera les 900 pages de l’histoire à se protéger de la vie plutôt qu’à se mettre en avant (quand il n’utilise pas les autres, car il est loin d’être idiot). Comme un symbole, il se nourrira au sein maternel pratiquement toute sa vie (une chèvre fera l’affaire quelque temps)…

L’histoire est contée sur un ton alerte et drôle, on ne s’ennuie pas une seconde. Car il va s’en passer des choses, dans cette Chine en bouleversement perpétuel : l’histoire commence fin XIXe siècle avec l’invasion Japonnaise, vient ensuite le Guomintang (premier parti politique de la République de Chine); puis bien sûr Mao Tse Toung et son communisme, et enfin le néo-capitalisme actuel.

Au milieu de ce fracas, le quotidien des habitants du village n’est pas simple. On perçoit la culture et le mode de vie ancestral, et le chamboulement provoqué par une histoire qui cafouille et se cherche. Car les perdants d’une époque peuvent devenir les vainqueurs de la suivante… L’absurdité de tout cela, frappé au coin du bon sens paysan, devient vite très drôle, et les péripéties ne manquent pas, tant les personnages sont hauts en couleurs et l’imagination de l’auteur fertile.

Mo Yan est un écrivain chinois, né en 1956. Voilà ce qu’il déclare en 2004 dans un interview à l’Humanité :

Je suis né à la campagne dans le Shandong. J’y ai vécu 20 ans, enfermé dans mon village jusqu’en 1976, année de la mort de Mao. Comme l’ensemble des Chinois à cette époque, nous vivions dans la misère. De 1959 à 1961, nous avons traversé une période de notre histoire avec les effets du  » Grand Bond en avant « . J’étais affamé, j’ai mangé du charbon et j’ai trouvé ça bon. Un voisin qui était étudiant m’avait dit que la vie des écrivains était bonne en Chine et qu’on pouvait manger des raviolis à tous les repas. Dès lors j’ai rêvé d’écrire. Plus les difficultés s’amoncelaient et plus j’en rêvais. Lorsqu’éclate la révolution culturelle en 1966, je suis renvoyé de l’école, classé dans « les mauvais éléments ». Un oncle avait été propriétaire foncier. Paria, interdit d’éducation, j’ai vécu plus de temps avec les animaux qu’avec les hommes. Après avoir cassé l’agriculture en Chine, on brisait la culture. Muré dans le silence et la solitude, je ne voyais que l’écriture pour m’épancher. L’armée était une voie pour y parvenir. Mais je n’y avais même pas droit. Elle était réservée aux familles de paysans pauvres, ou à celles de cadres. J’ai biaisé. Je suis allé travailler dans une usine de coton du district puis j’ai posé ma candidature sans que les cadres de mon village soient au courant. Des amis m’ont aidé. Je me suis engagé en 1976. Dès lors j’étais libéré de la faim, je pouvais penser à autre chose. Lorsque je montais la garde, j’écrivais en pensée. Mes supérieurs disaient que j’étais un bon soldat parce que je restais immobile. C’est dans une chambrée que j’ai écrit mes premières nouvelles. Ma plume s’est emballée, j’ai poursuivi mon éducation dans une école de l’armée puis à l’université de Beida. Mais rien ne pourra faire oublier les douleurs de l’enfance.