Archives de catégorie : Littérature

La trilogie Fabio Montale – Jean-Claude Izzo

La trilogie Fabio Montale - Jean-Claude Izzo Après la Provence champêtre vue par Jean Giono il y a près d’un siècle, on reste dans le sud mais on passe à une ville contemporaine ; et pas n’importe quelle ville, puisqu’il s’agit de Marseille ! La ville de Izzo, celle qu’il a tant aimé…

Fabio Montale est le héros, flic des quartiers nords désabusé (bientôt déclassé) aimant la poésie, le jazz, l’alcool et les femmes… et voyant sa ville qu’il connait par cœur se transformer peu à peu, jusqu’à perdre son âme. La ville mais pas seulement, notre société aussi, qui ne sait pas où elle va, et où règnent la violence, la corruption, le racisme, la misère…

Dans Total Khéops, son enfance de petit voyou refait surface, nous permettant de connaître son parcours, tout en parlant du milieu Marseillais et de la corruption de la police. Chourmo traite de la misère sociale, de la dérive islamiste de jeunes émigrés paumés, et des manipulations dont ils sont l’objet, toujours par les flics et le milieu. Solea annonce l’arrivée de la Mafia italienne, se veut très documenté et est finalement assez inquiétant.

On peut se demander comment le rôle de Fabio Montale dans l’adaptation télévisée fût confié à Alain Delon ! Les deux personnages ne sont manifestement pas du même bord politique… à moins que Delon ne soit finalement un très grand acteur ? 😉

Cette trilogie commence, en guise de préface, par une passionnante et inédite biographie de l’auteur par Nadia Dhoukar.

Jean-Michel Izzo est né à Marseille en 1945 et meurt dans cette même ville en 2000. Fils d’émigré, passionné de poésie et de littérature, il adhère au PSU en 1996. En 1968, il est même candidat aux élections législatives de Marseille. Puis il adhère au PCF, devient rédacteur en chef de La Marseillaise (à cette époque un quotidien communiste). Il quittera le parti, préférant l’action concrète aux discours lénifiants. À noter qu’il vécu un temps à St-Malo, étant l’un des animateurs du festival « Étonnants voyageurs ».

 

Regain – Jean Giono

Regain - Jean Giono Troisième et dernier roman de la trilogie de Pan, après « Colline » puis « Un de Baumurges ».

L’occasion de retrouver une préface de la très chère Anne-Marie Marina-Mediavilla, que je me suis empressé de passer sans la lire, au cas où elle raconterait l’histoire comme dans Colline. Et comme là aussi, un petit dossier fait suite au roman, on peut se demander l’utilité de cette préface.

Bon, ceci dit, on apprend très vite qu’il s’agit d’un village de Haute-Provence qui perd ses derniers habitants, et vu le titre, on peut rapidement deviner ce qui va se passer.

Belle histoire que l’on a tout de même un peu de mal à croire, le retour à la terre de nos jours… même en 1930, date de parution du roman, le dépeuplement était déjà bien avancé.

Sur cette trilogie, ma préférence reste à Un de Baumugnes, tant pour l’histoire que pour le style.

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Un de Baumugnes – Jean Giono

Un de Baumugnes - Jean Giono Après « Colline », il était logique que j’enchaîne sur « Un des Baumugnes », le deuxième opus de la trilogie de Pan de Jean Giono… d’autant qu’on m’a offert les trois !

J’ai beaucoup aimé celui-ci, j’ai trouvé le style plus abouti : c’est Amédée, un vieux journalier qui nous raconte l’histoire, et Giono l’écrit comme Amédée parle… ça m’a fait penser à Céline dans Mort à crédit. Pas d’argot parisien ici, mais du patois provençal…

C’est en tout cas parfaitement réussi, et on est très vite accroché par cette histoire d’amitié entre Amédée et Albin, jeune journalier descendu de son village de Baumugnes, et tombé amoureux d’une jeune fille. Le vieil Amédée, avec tout le recul qu’il a sur la vie, va l’aider à retrouver la belle. Il va aider Albin…

… du mieux que je pouvais pour me guérir de cette sacrée maladie qui me fait souffrir du mal des autres…

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Colline – Jean Giono

Colline - Jean Giono Premier livre de la « trilogie de Pan », c’est aussi le premier roman de Jean Giono, qui lui permettra d’arrêter son activité salariée et de vivre de son écriture. Heureux homme ! 😉

Première précaution à prendre : passer la préface (15 pages) d’Anne-Marie Marina-Mediavilla, qui dès les premières lignes nous fait gracieusement l’inventaire de ce qui nous est raconté sous le prétexte de l’extrême simplicité de l’intrigue. Elle préfère nous parler du dieu Pan, de la mythologie, et de la façon dont Giono l’a intégré au roman : c’est tellement plus intéressant, vous comprenez ?

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Du vrai, du beau, du bien – Jean-Pierre Changeux

Du vrai, du beau, du bien - Jean-Pierre Changeux En 1984, j’avais lu « L’homme neuronal » du même auteur, et ça m’avait bien plu : les explications sur le fonctionnement de notre système nerveux, la complexité de notre cerveau avec ses milliards de neurones qui échangent de l’information grâce aux synapses (électrique ou chimique), les objets mentaux, l’organisation de la mémoire…

Même si c’était un peu compliqué à lire, on y apprenait beaucoup. Cela avait aussi le mérite d’une approche scientifique (matérialiste), et renvoyait mine de rien les superstitions de toutes sortes au placard, ce qui n’était pas pour me déplaire… j’avais déjà passé ma période mystique ! 😉 .

La science commençait à s’occuper de ce qui se passe dans notre tête : philosophie, sociologie, chimie, biologie, neurologie… toutes ces disciplines se retrouvaient soudainement liées.

?

Hélas, pour ce dernier ouvrage, je peux dire que je n’ai à peu près rien compris… Je ne sais pas quel niveau il faut avoir pour comprendre tout ce qui y est expliqué, mais il est élevé : si vous n’êtes pas familier avec tout le vocabulaire spécialisé de ces domaines, c’est plutôt mal parti, car beaucoup de choses sont considérées comme acquises.

Des chapitres entiers sur les neurotransmetteurs, la chimie du cerveau, les mécanismes cellulaires sont proprement incompréhensibles au pauvre béotien que je suis. Il y a bien des illustrations qui parsèment le livre et qui auraient pu aider à la compréhension, mais elles sont tout aussi absconses.

C’est dommage, Jean-Pierre Changeux y résume ses connaissances (trente années d’enseignement au Collège de France) mais ce livre n’est manifestement pas destiné à vulgariser celles-ci.

Voyons voir ce que j’en ai tout de même retenu…

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Le Gouffre, et autres récits – Andreïev

Le gouffre - Andreïev Ce recueil de nouvelles m’a été conseillé par le libraire de Puteaux, admirateur de la littérature russe, et enthousiaste sur Andreïev et les personnages qu’il met en scène. Comme pour Lermontov, j’ai éprouvé un grand plaisir à lire ces histoires. L’écriture est magnifique, fluide et précise : ce doit être lié aux écrivains russes…

Le Gouffre est le premier volume de l’édition intégrale de ses récits : les premières nouvelles sont certainement autobiographiques (souvenirs d’école, d’enfance) et les personnages souvent hauts en couleurs sont décrits avec une véritable tendresse. J’étais bien accroché… mais voilà, le côté innocent des récits de jeunesse ne va pas durer. Voilà ce que déclarait Andreïev en 1891, âgé de 20 ans :

Je veux prouver qu’il n’est en ce monde ni vérité, ni beauté, ni bonheur fondé sur la vérité, ni liberté, ni égalité — il n’y en a  pas et il n’y en aura jamais. […] Je veux montrer l’inconsistance de ces fictions sur lesquelles l’homme s’est appuyé jusqu’à aujourd’hui : Dieu, la morale, l’au-delà, l’immortalité de l’âme, le bonheur humain, etc. Je veux être l’apôtre de l’auto-anéantissement. […] Je veux, dans mon livre, agir sur la raison, les sentiments, les nerfs de l’homme, sur toute sa nature animale.

Et très vite, les nouvelles vont s’assombrir : si le style est toujours majestueux, et les descriptions de la nature toujours somptueuses, presque romantiques… le destin des personnages laisse effectivement peu de place à un réel espoir.

« Le Gouffre », la nouvelle qui sert de titre au recueil, est situé à la page 435, tout près de la fin du livre… c’est sans aucun doute la plus noire.  J’ai bien aimé « L’histoire de Sergueï Pétrovitch », celle d’un jeune étudiant passionné par la doctrine de Nietzsche, mais qui finira par se suicider… « Le mur » ferait presque frissonner…

J’ai donc eu un peu plus de mal sur la deuxième partie du livre, d’autant que les descriptions de la nature, pour être toujours très belles, m’ont semblé un peu répétitives, comme si l’auteur s’y accrochait désespérément comme à la seule chose lumineuse dans la vie.

Léonid Andreïev (1871-1919) est un écrivain et dramaturge russe, profondément marqué par Schopenhauer et Nietzsche. Il connait le succès puis sombre dans l’oubli ; il meurt des suites d’une tentative de suicide raté quelques années auparavant. On doit son arrivée en France à Laurent Terzieff qui monta la pièce « La Pensée ».

Oasis interdites – Ella Maillart

Oasis interdites - Ella Maillart Encore un très bon bouquin dans cette collection Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs.

En 1935, le Sinkiang (le Turkestan chinois, berceau d’une vieille culture iranienne, situé au nord du Tibet) est en plein soulèvement, et trois ou quatre factions se combattent, encouragées par l’URSS, l’Angleterre, voire le Japon… sans oublier le Kuomintang chinois qui les combat toutes…

Ella Maillart se trouve alors à Pékin, et entreprend, accompagnée de Peter Fleming, un voyage incertain, où il s’agit de traverser toute la Chine d’est en ouest jusqu’à cette province du Sinkiang, puis de rejoindre le Cachemire indien par les cols muletiers du Pamir et du Karakoram. Évidemment, il est impossible d’obtenir un visa, et tout étranger est normalement refoulé vers la côte.

C’est ce voyage (qui dura sept mois) qu’elle nous fait partager dans ce livre, et d’une belle et simple manière. Comme le dit Nicolas Bouvier (auteur du magnifique L’usage du monde) dans la préface :

La fraîcheur saisissante de l’observation, une langue extrêmement précise, enfin une philosophie du voyage qui permet à l’auteur de vivre son aventure sans trop vouloir la gouverner, remplacent avec avantage la « prétention de faire une œuvre littéraire » et me confirment dans l’idée qu’on a souvent plus de profit à lire les voyageurs qui écrivent que les écrivains qui voyagent.

On ne peut mieux dire, et Ella va nous narrer son voyage au quotidien : les difficultés rencontrées, les coups de chance et de malchance, les longues marches éprouvantes, sans oublier le contexte géographique et politique des régions traversées, tous les deux bien souvent troublés.

L’histoire de son petit cheval Slalom, incapable d’avancer tellement il est devenu faible et qu’elle doit abandonner en espérant que la luzerne repoussera avant qu’il ne meure, est particulièrement touchante.

Comme d’habitude, quelques extraits pour vous faire une idée :

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Les chiens ont soif – Normand Baillargeon

Les chiens ont soif - Normand Baillargeon Après avoir lu « Petit cours d’auto-défense intellectuelle » du même auteur, je me suis empressé de prendre celui-ci. Si le premier nous apprenait à développer notre pensée critique de manière très plaisante, celui-ci (paru antérieurement) est plutôt une critique de notre société ainsi qu’un appel à se mobiliser.

La première partie est très intéressante, particulièrement ses explications sur ce qu’est vraiment l’anarchisme. Il aborde ensuite des sujets comme l’éducation, l’économie politique, les impôts, et termine par quelques remarques destinées à montrer qu’une autre économie est possible, qu’il est temps de s’y intéresser… et de militer.

Le livre est très documenté et de nombreuses références sont fournies sur les sujets abordés.

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Le boulevard périphérique – Henry Bauchau

Le boulevard périphérique - Henry Bauchau Dernier bouquin conseillé par le libraire de Morlaix, et pas vraiment ce qui m’a le plus plu. Ce livre a pourtant reçu le prix du livre Inter 2008 (comme la banderole le prouve), et j’étais plutôt confiant.

Finalement, c’est peut-être le sujet (le cancer et la mort) qui ne m’a pas branché plus que ça. D’autant que le hasard faisant bien les choses, je me suis retrouvé à le lire à l’hosto lorsque je suis allé me faire retirer la vis de mon coude : ce n’est pas le meilleur endroit pour lire ce genre d’histoires ! 😉

Un homme, assez âgé pour avoir connu la seconde guerre mondiale, passe quotidiennement à l’hôpital rendre visite à sa belle-fille, atteinte d’un cancer, et dont on se doute assez vite qu’elle ne s’en sortira pas.

En parallèle, il se remémore son amitié de jeunesse avec Stéphane, d’abord frère d’escalade, puis résistant héroïque, et qui comme tous les héros trouvera vite la mort. Il se souvient de ce monstre froid comme seule la guerre peut en révéler, appelé Shadow, et qui, emprisonné à la fin de la guerre, avait demandé à le rencontrer pour parler de la mort de Stéphane. Étrange rencontre.

C’est très bien écrit, rien à dire de ce côté. La mort, on y aura tous droit, mais on s’accrochera probablement à la vie le plus longtemps possible. Notre entourage nous répètera qu’il reste encore une chance, et les médecins aussi : ce nouveau traitement, même s’il est plus dur à supporter… Et quelle attitude adopter lorsque l’on est de l’autre côté, à voir l’autre dépérir peu à peu ou reprendre momentanément des forces… pour mieux retomber. Durer, lutter, refuser, mentir… ou bien mourir en pleine force de l’âge comme Stéphane, qui ne craignait pas la mort ?

L’auteur réussit parfaitement à mélanger ce présent et ses souvenirs au milieu de ses réflexions personnelles, au fil de ses aller-retour sur le périphérique pour se rendre à l’hôpital. Vu le sujet, c’est extrêmement bien fait, et plein de sensibilité.

Henry Bauchau est né en 1913 à Malines (Belgique). Écrivain, poète, dramaturge, mais aussi psychanalyste, il vit à Paris depuis 1975. Très chrétien, il est également passionné par l’antiquité et le mysticisme oriental.

Les soldats de Salamine – Javier Cercas

Les soldats de Salamine - Javier Cercas Toujours conseillé par le libraire de Morlaix, voilà un excellent livre, qui a le mérite de parler de la guerre d’Espagne d’une manière tellement originale que les Républicains comme les Franquistes ont sans doute pu y trouver leur compte, et ce n’est pas la moindre des qualités de ce roman.

C’est aussi par le style utilisé par l’auteur, qui dialogue avec le lecteur et lui raconte comment il en en est venu à écrire ce roman, que la première accroche a lieu. L’écriture est limpide, le recul nécessaire et l’humour sont là (quand il parle de lui), et le sujet pourtant difficile parfaitement traité. Enfin, c’est l’occasion de mieux comprendre ce qui s’est passé et comment Franco est arrivé au pouvoir.

L’un des fondateurs de la Phalange, idéologue à la fois poète et écrivain, Rafael Sánchez Mazas, échappe de peu au peloton d’exécution alors que les troupes républicaines sont déjà en déroute, du côté de Barcelone, et s’apprêtent à passer la frontière. L’auteur, ayant entendu cette histoire, va alors se mettre à la recherche de ce soldat républicain qui a pourtant manifestement reconnu le phalangiste…

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