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Le général dans son labyrinthe – Gabriel Garcia Marquez

Le général dans son labyrinthe - Gabriel Garcia Marquez On a beaucoup parlé de Gabriel Garcia Marquez lors de sa mort en avril dernier, et les ventes de « Cent ans de solitude » ont dû augmenter de manière significative. Pour ma part, je l’avais lu il y a longtemps, et j’avais beaucoup aimé, malgré la difficulté à s’y retrouver au fil des générations. 😉

Interrogé à propos de GGM sur France Culture, Alain Finkielkraut avait dit quelque chose de ce genre : quand je range un livre dans ma bibliothèque, il y a deux endroits : celui pour les livres que je ne vais pas relire, et l’autre pour ceux dont je sais que j’y reviendrai un jour. Parmi ces derniers, et concernant GGM, c’est « Le général dans son labyrinthe », qui raconte les derniers jours de Simon Bolivar.

Lorsque je suis passé chez le libraire le commander, il était disponible en poche. Je le commande donc, on attend quelque jours, puis la livraison est annulée ! et bizarrement le livre n’est alors plus disponible qu’en format broché… après discussion avec le libraire, il est bien possible que le format poche ait été « retiré » afin de privilégier un stock d’édition  brochée invendu…

Revenons au livre : je n’ai pas particulièrement aimé, les souvenirs de Simon Bolivar étant un peu trop foisonnants, la légende se mêlant à l’histoire (c’est un roman) avec la concours de la plume de GGM qui ne demande que ça…  Mais aussi et surtout parce que je ne connais pas l’Histoire… ce livre m’a d’ailleurs donné l’envie d’en savoir plus sur le personnage : une biographie de Simon Bolivar doit être passionnante.

Car Simon Bolivar , « El Libertador », a eu une vie incroyable, libérant plusieurs pays d’Amérique du Sud des colons espagnols : Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou et Venezuela, rien que ça. Son but ultime était de créer la Grande Colombie, qui regroupait Équateur-Colombie-Panama-Venezuela en un seul pays, afin de mieux résister aux espagnols ou royalistes. Mais le projet ne lui survivra pas.

Ce livre raconte donc ses derniers jours, emplis de mélancolie : le général est malade, à l’article de la mort, voyant son rêve d’unification se déliter doucement, au gré des conflits naissants alors qu’il vient à peine d’annoncer qu’il quitte définitivement le pouvoir. Une longue descente le long du río Magdalena, dont l’issue ne fait guère de doute.

Gabriel Garcia Marquez (1927-2014) est un écrivain colombien. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1982. « Cent ans de solitude » est son chef-d’œuvre, qui lui apporta la célébrité.

Le premier homme – Albert Camus

Le premier homme - Albert Camus Voilà un bout de temps que je m’étais promis de lire des œuvres d’Albert Camus : j’ai bien un vague souvenir du lycée avec « L’étranger », mais c’est bien loin tout ça…

Et pourquoi cette envie ? Albert Camus fait partie des personnes qui ne sont pas souvent trompées avec l’histoire : que ce soit par ses positions sur la guerre d’Espagne ou celle d’Algérie, sa démission du parti communiste quand les camps de travail viennent ternir la belle image de l’idéologie communiste, sa rupture avec Sartre.

D’origine modeste (et revendiquée), Camus reste avant tout attaché à la liberté, et ses actes seront en phase avec ses idées. Enfin, il est d’abord écrivain avant d’être philosophe. Un auteur contemporain à ne pas manquer donc…

Et je commence paradoxalement par son dernier roman, inachevé même puisqu’il y travaillait encore lors de sa mort accidentelle en 1960. La forme finale en aurait sans doute été différente, mais sur le fond, Camus voulait nous faire partager son histoire, celle de sa famille, et son enfance passée en Algérie, même s’il a changé les noms des personnages.

L’histoire démarre par un retour de Jacques Cornery (A. Camus) sur les traces de son père, mort à la première guerre mondiale, né en Algérie, fils de ces premiers colons envoyés là-bas dans les années 1840. La description des conditions dans lesquelles ces colons arrivèrent est d’ailleurs terrible, entre le choléra, les conditions de vie, les bandes arabes, les soulèvements, etc… :

Il avait fallu se secouer devant les soldats qui riaient et s’installer dans les tentes. Les maisons seraient pour plus tard, on allait les construire et puis distribuer les terres, le travail, le travail sacré sauverait tout. [..] « Ah ! les braves gens », disait Veillard qui riait. « Ils ont terminé leurs petites cagnas au printemps, et puis ils ont eu droit au choléra. […] Les deux tiers des émigrants étaient morts, là comme dans toute l’Algérie, sans avoir touché la pioche et la charrue.

Puis Camus nous contera son enfance, à Alger. La famille est très pauvre, le père étant mort ; l’éducation de la grand-mère est très sévère, la mère un peu distante, mais que Camus adore littéralement, et à  propos de laquelle il écrit de très belle pages :

Toute sa vie il l’avait vue retranchée — douce, polie, conciliante, passive même, et cependant jamais conquise par rien ni personne, isolée dans sa demi-surdité, ses difficultés de langage, belle certainement mais à peu près inaccessible et d’autant plus qu’elle était plus souriante et que son cœur à lui s’élançait plus vers elle –, oui, toute sa vie, elle avait gardé le même air craintif et soumis, et cependant distant, le même regard dont elle voyait, trente ans auparavant, sans intervenir, sa mère battre à la cravache Jacques, elle qui n’avait jamais touché ni même vraiment grondé ses enfants, elle dont on ne pouvait douter que ces coups ne la meurtrissaient aussi mais qui, empêchée d’intervenir par la fatigue, l’infirmité de l’expression et le respect dû à sa mère, laissait faire, endurait à longueur de jours et d’années, endurait les coups pour ses enfants, comme elle endurait pour elle-même la dure journée de travail au service des autres, les parquets lavés à genoux, la vie sans homme et sans consolation au milieu des reliefs graisseux et du linge sale des autres, les longs jours de peine ajoutés les uns aux autres pour faire une vie qui, à force d’être privée d’espoir, devenait aussi une vie sans ressentiment d’aucune sorte, ignorante, obstinée, résignée enfin à toutes les souffrances, les siennes comme celles des autres.

On voit ici la puissance d’évocation d’Albert Camus et le talent de l’écrivain…

Il y aussi des pages magnifiques sur l’insouciance des enfants, sous le soleil d’Alger, courant jusqu’à la mer, heureux de vivre jusqu’à l’ivresse. Puis Jacques sera remarqué par son instituteur, obtiendra une bourse qui lui permettra d’aller au lycée et de poursuivre ses études, alors que la grand-mère aurait préféré qu’il gagne sa vie au plus tôt. Quand en 1957, Albert Camus reçoit le prix Nobel de littérature, c’est à son vieil instituteur (après sa mère) qu’il le dédiera.

Un très beau livre donc, dommage que l’auteur n’ait pas eu le temps de terminer complètement, il aurait certainement été encore plus abouti.

Albert Camus (1913-1960) est un écrivain, philosophe, dramaturge français, né en Algérie. Il est aussi journaliste engagé dans  la Résistance française durant la seconde guerre mondiale, et proche des courants libertaires dans les  combats moraux de l’après-guerre.

Solaris – Stanislas LEM

Solaris - Stanislas LEM J’ai toujours aimé la science-fiction, et c’est toujours un plaisir d’y revenir… et avec ce genre de petit bijou encore plus ! Le roman ne date pourtant pas d’hier, paru en 1961 (1966 en France) ; mais c’est un classique, doté de deux adaptations cinématographiques (1972 puis 2002), j’y reviendrai.

On peut traiter de sujets très profonds avec ce genre de littérature : ici, ce serait l’incapacité que nous aurions à simplement communiquer avec une forme d’intelligence radicalement différente quelque part dans l’univers. Et rien n’empêche de porter la réflexion à notre mode de communication, entre individus de la même espèce, ici sur cette terre !

Solaris, c’est donc une planète, tournant autour de deux soleils, et recouverte d’un gigantesque océan protoplasmique qui crée de gigantesques structures à sa surface, tout autant éphémères que fascinantes. Découverte il y a plus de cent ans, elle reste un mystère complet ayant donné naissance à une science : la Solaristique, dont les experts s’évertuent sans succès depuis des années à percer le mystère : c’est l’océan, unique habitant de la planète, qui semble être doté d’une forme d’intelligence… mais comment communiquer avec lui ?

Le roman démarre quand le Dr Kelvin (psychologue) arrive sur la station Solaris, rejoignant trois autres scientifiques déjà sur place ; quelque chose ne va pas, le comportement des scientifiques présents est étrange ; puis une femme apparaît, Harey, dont Kelvin a été amoureux dans le passé, et qui s’est suicidée plusieurs années auparavant… Impossible que ce soit vraiment elle donc… À moins que ce ne soit l’océan qui essaie d’entrer en contact ?

Les scientifiques veulent faire une expérience sur Harey (puisqu’elle n’est pas humaine malgré les apparences). Le Dr Kelvin ne sait ce qu’il  doit faire :

Debout devant la fenêtre, le regard fixe, je n’avais pas vu venir la nuit. Un mince plafond de nuages élevés, coupole argentée reflétant faiblement le soleil disparu, voilait les étoiles.
Si elle disparaît après l’expérience, cela signifiera que je souhaitais sa disparition. Que je l’ai tuée. Non, je ne monterai pas chez Sartorius. Je ne suis pas obligé de leur obéir. Qu’est-ce que je leur dirai ? La vérité ? Non. Je ne peux pas leur dire la vérité. Il faudra jouer la comédie, mentir, encore et toujours… Parce qu’il y a peut-être en moi des pensées, des intentions, des espoirs cruels dont je ne sais rien, parce que je suis un assassin qui s’ignore. L’homme est parti à la découverte d’autres mondes, d’autres civilisations, sans avoir entièrement exploré ses propres abîmes, son labyrinthe de couloirs obscurs et de chambres secrètes, sans avoir percé le mystère des portes qu’il a lui-même condamnées. Leur abandonner Harey… par pudeur ? L’abandonner uniquement parce que je manque de courage ?

Côté cinéma, l’adaptation d’Andrei Tarkovsky (1972) est fidèle au roman et traite le même sujet (avec peu de moyens techniques) ; la version de Steven Soderberg (2002), se concentre quant à elle sur l’histoire d’amour entre Kelvin (interprété par George Clooney) et Harey : ce qui valut la remarque suivante de Stanislas Lem :

…à ma connaissance, le livre ne se focalise pas sur les problèmes sexuels de personnes dans l’espace… En tant qu’auteur de Solaris, je me permets de rappeler que je souhaitais seulement recréer une rencontre avec quelque chose qui existe certainement, sans doute de manière flamboyante, mais qui ne peut être réduit à des concepts, des idées ou des images humains. C’est pourquoi ce livre s’intitule « Solaris » et non pas « L’Amour dans l’espace ».

C’est clair, et c’est drôle ! 🙂

Stanislas Lem (1921-2006) est un écrivain de science-fiction polonais. Ses études de médecine étant interrompues par la seconde guerre mondiale, il devient mécanicien-soudeur, et participe à la Résistance. Son oeuvre est construite autour d’une vision critique du comportement humain, sur l’incommunicabilité entre les humains et les civilisations extraterrestres, et sur le futur technologique de l’humanité.

Palestine – Hubert Haddad

Palestine - Hubert Haddad L’auteur m’avait été recommandé par le libraire à qui je demandais « une belle écriture », je prenais donc ce petit livre pour le découvrir.

Sur ce point précis, il n’a pas vraiment répondu à mes attentes : c’est bien écrit certes, mais dans un style un peu trop alambiqué à mon goût. On pourrait dire que l’auteur s’écoute écrire… 😉

Je crois que l’on s’est mal compris avec le libraire ! j’aime bien quand les phrases ont leur rythme, leur propre musique ; le vocabulaire reste pour autant précis, décrivant la situation avec le plus de force et le moins de mots.

Quant à l’histoire, elle reste peu crédible. En caricaturant à peine : un soldat israélien capturé et amnésique est recueilli par une famille palestinienne ; il va tomber amoureux de la belle palestinienne anorexique qui le soigne… Je vous laisse découvrir la fin par vous-même, on atteint les sommets.

Seule reste la description de la dureté de la vie quotidienne des palestiniens, réglée par l’occupant, le passage récurant des « check-point », la sensation d’un contrôle et d’un assujettissement permanent. Sur ce point, cette histoire atteint son but.

Voilà un petit exemple pris au hasard du style qu’emploie l’auteur, et qui vient se greffer sur la narration proprement dite :

L’absence ne se nomme ni ne s’esquisse jamais. À peine les ténèbres désignées, c’est l’œil qui cligne. La lame la plus fine tranche entre l’instant nouveau et l’oubli sans fond. D’un coup le néant ravale les milliards d’années et recrache au hasard un soupir de résurrection.

Bon… ce n’est pas avec des phrases de ce genre que l’on va aider à résoudre le problème palestinien ! (je plaisante sur un problème sérieux, désolé).

Hubert Haddad est né en 1947 en Tunisie. Écrivain de langue française, poète, romancier, historien d’art.

Mémoires d’une jeune fille rangée – Simone de Beauvoir

Mémoire d'une jeune fille rangée - Simone de Beauvoir Retour à Simone de Beauvoir dont j’apprécie beaucoup les romans (voir en fin d’article pour ceux que j’ai déjà lu).

Celui-ci est le premier d’une série de quatre volumes où Simone de Beauvoir nous racontent ses mémoires, sa vie, son œuvre. Et puisque c’est le premier, il s’agit de son enfance, au début du XXème siècle, jusqu’à l’âge de vingt et un ans.

C’est un régal à lire : la construction de la personnalité d’un enfant puis d’une adolescente, décrite avec une objectivité remarquable ; la description de ce qu’était l’éducation d’une jeune fille à cette époque ; un père employé dans un cabinet d’avocat et comédien amateur, une mère très pieuse issue de la bourgeoisie… la guerre 14-18 ruinant la famille ainsi que leurs espoirs d’ascension sociale ; ses premières amours, et sa grande amie Zaza au destin tragique.

On ne peut s’empêcher d’admirer le recul et l’honnêteté avec lesquels elle nous compte tout ça, dans son style si agréable à lire… on repense forcément à notre propre expérience : l’éducation reçue, la première rencontre avec le mensonge, la figure idéalisée des parents qui se fissure, la perte de la foi religieuse, la société et ses injustices (ou pas, selon les explications fournies par les parents), les premiers émois amoureux et les questionnements qui les accompagnent. C’est ainsi que la personnalité d’un être se construit et qu’il trouve sa place dans la vie…

Très tôt passionnée de littérature, et dès quinze ans persuadée qu’elle deviendra un écrivain célèbre, elle nous raconte avec forces détails tous ses souvenirs d’enfance et d’adolescence, sa volonté farouche d’échapper au destin promis aux jeunes filles à cette époque, et son émancipation intellectuelle.

Voilà quelques  extraits qui vous donneront peut-être envie de le lire, ou de le faire lire à votre ado préféré !

Continuer la lecture… Mémoires d’une jeune fille rangée – Simone de Beauvoir

Au revoir là-haut – Pierre Lemaitre

Au revoir là-haut - Pierre Lemaitre C’est à la radio que j’ai d’abord entendu parler de ce roman, roulant tranquillement vers la Bretagne. On y évoquait l’immense marché que fût la construction de tous ces monuments aux morts érigés après le première guerre mondiale, et pain béni pour les sculpteurs…

En cette année 2014, où l’on commémore le centenaire de cette guerre 14-18, le sujet était bien choisi, et a peut-être joué pour obtenir le prix Goncourt ? Le style de l’auteur, qui vient du roman policier, ne m’a pas impressionné en tout cas, même si la lecture reste très agréable et l’histoire passionnante. Je m’attendais à quelque chose de beaucoup plus littéraire pour un Goncourt ; après discussion avec le libraire, il n’y a pas à attendre un style particulièrement soigné pour obtenir le prix Goncourt… Dans le temps peut-être ?

Reste l’histoire, passionnante de bout en bout, et qui retrace bien l’époque : les derniers jours de la guerre d’abord (et son horreur), puis l’après-guerre, avec tous ces soldats démobilisés dont la société ne sait que faire : estropiés, amochés, quand ce n’est pas leur regard égaré par les horreurs qu’ils ont vécu qui fait peur aux braves gens. Ils emmerdent tout le monde, d’autant que le pays est à reconstruire économiquement.

L’idéal aurait été de gagner la guerre, mais sans aucun survivant ! Je dis ça en référence à Boris Vian, qui écrivait dans « Automne à Pékin » (je crois) à propos de la guerre : il faudrait tuer les survivants, il seraient sans doute moins nombreux à partir au front sans aucun espoir d’en revenir… 😉

La société d’après-guerre est encore très semblable au XIXème siécle : nobles (riches ou ruinés), famille d’industriels richissimes impliqués dans la politique, tous détenant le pouvoir et la richesse… en face, des pauvres (ouvriers, paysans, serviteurs), peu éduqués, avec seulement leurs bras à vendre pour une misère.

Deux soldats rescapés (dont l’un a littéralement la gueule cassée) vont monter une belle arnaque, et un militaire (noble ruiné) va en monter une autre, moins grandiose mais destinée à l’enrichir, enfin un industriel-politique va tenter de préserver l’honneur de son nom.

Côté style, le narrateur est l’auteur, contemporain, et qui nous raconte l’histoire, ce qui surprend un peu (personnellement, je ne suis pas fan). Par exemple :

Pour le moment, les gars sont dans l’attente de l’ordre d’attaquer. L’occasion n’est donc pas mauvaise pour observer Albert

Et l’auteur de nous décrire Albert. Un peu plus loin :

Pour nous, aujourd’hui, Albert Maillard ne semble pas très grand, un mètre soixante-treize, mais pour son époque, c’était bien.

Il anticipe aussi parfois sur le récit :

Et finir enterré vivant à quelques encablures de la fin de la guerre, franchement, ce serait vraiment la cerise. Pourtant, c’est exactement ce qui va arriver. Enterré vivant, le petit Albert. La faute à « pas de chance », dirait sa mère.

Hormis ceci, la lecture est très plaisante, et on est vite accroché par l’histoire et les personnages.

Pierre Lemaitre, né en 1951 à Paris, est romancier et scénariste. Il avait jusqu’ici écrit des romans policiers, et reçoit le prix Goncourt pour ce premier roman picaresque (et non historique comme on pourrait le croire).

Kampuchéa – Patrick Deville

Kampuchéa - Patrick Deville Après avoir lu et aimé Peste & Choléra, j’ai commencé à regarder un peu ce qu’avait écrit d’autre Patrick Deville. Il y a plusieurs bouquins au format poche, et apparemment le thème du voyage est récurrent dans son œuvre (ainsi que l’Histoire), ce qui n’est pas pour me déplaire.

Et celui-ci, qui raconte principalement l’histoire du Cambodge (mais pas seulement), depuis la découverte des temples d’Angkor à nos jours, m’a attiré en premier.

Chose amusante, je me rendis compte dès les premières pages que l’auteur était là-bas en 2009 pour préparer ce livre, c’est-à-dire la même année que moi lors de mon voyage en Asie.

En plus de lieux mentionnés par lesquels je suis passé (My Tho et Can Tho au Vietnam par exemple), les souvenirs remontent à cette occasion : le procès de Doutch commençait à Phnom Penh, on en parlait le soir autour d’une bière, et j’apprenais par la même occasion cette histoire dont je ne connaissais pas grand chose, si ce n’est que les Khmers Rouge étaient des révolutionnaires communistes, et que leur révolution avait échoué.

On apprend donc beaucoup sur l’Histoire de cette région du monde, ou sur des explorateurs oubliés comme Henri Mouhot qui fit redécouvrir Angkor aux Occidentaux, avant de partir vers le Laos en remontant le Mékong jusqu’à Luang Prabang, où il mourra de la fièvre jaune. J’ai loupé le Laos durant mon voyage, mais ce livre donne envie d’aller voir du côté de Luang Prabang…

L’auteur y mêle aussi ses propres souvenirs de voyage, et laisse libre cours à son imagination, comme lorsqu’il est à Saïgon, rue Catinat, la décrivant au fil des différents occupants du pays… Il nous emmène à son rythme et à sa façon, et l’on voyage avec lui…

Voici quelques extraits :

Continuer la lecture… Kampuchéa – Patrick Deville

Limonov – Emmanuel Carrère

Limonov - Emmanuel Carrère J’avais entendu parlé de ce livre à la radio. Ou plutôt de ce personnage improbable, Limonov, dont à lire ou entendre l’histoire on se demande si l’on est en pleine fiction ou pas…

Poète-écrivain dissident, obligé de quitter l’URSS, il devient clochard puis majordome d’un milliardaire à New-York. C’est ensuite à Paris qu’il commence à être reconnu comme écrivain, sans toutefois rencontrer le succès. On le retrouve ensuite dans les Balkans aux côtés des forces serbes, puis de retour en Russie où il dirige le parti National-Bolchevique… Ce dernier est interdit et Limonov emprisonné deux ans, où il continue à écrire.

Une fois sa peine purgée, il se rapproche de Kasparov (et donc des libéraux !), s’opposera à Poutine, mais on sait ce qu’il advint de l’élection de 2008 : Kasparov se retirera craignant pour sa vie, et Medvedev sera élu, Poutine ne pouvant postuler à un troisième  mandat.

Ajoutez à tout cela un côté sulfureux, le sexe, l’alcool, les femmes… un personnage hors du commun, pas vraiment recommandable (tant pour ses idées que pour ses actes), mais qui va au bout de ses idées et de ses passions, obsédé par la volonté d’être célèbre, aimé et reconnu pour son talent…

Enfin, Emmanuel Carrère ne se contente pas de raconter la vie de Limonov. D’abord, il le connaît et l’a rencontré. Mais il parle aussi beaucoup de l’URSS puis de la Russie, de littérature et d’histoire. Ses propos viennent s’insérer dans le récit, au fil des événements et de ses réflexions ; ainsi le prologue commence par un séjour de l’auteur à Moscou après l’assassinat d’Anna Politkovskaïa.

Il parle aussi de lui, de ses doutes (d’une manière assez honnête apparemment) et même de sa mère, ce qui m’a rappelé des souvenirs : Hélène Carrère d’Encausse, c’était la « spécialiste de la Russie » (historienne) que l’on interviewait systématiquement lorsqu’il se passait quelque chose en URSS…

Un bouquin qui m’a bien plu, surtout pour le côté contemporain de l’histoire. Sinon Limonov montre la complexité d’un être humain : sans doute écrivain talentueux, dévoré par l’ambition et le désir de devenir célèbre, mais aussi petite frappe à son adolescence, puis politiquement nationaliste, nostalgique de la grandeur de l’URSS…

Les titres de ses romans sont d’ailleurs assez parlants : « Le journal d’un raté », « Autoportrait d’un bandit dans son adolescence », ou encore « Le petit salaud ». On peut au moins lui reconnaître une certaine lucidité ! Il écrit d’ailleurs sur toutes les périodes de sa vie, ce qui est aussi révélateur.

Voilà ce que l’on peut lire sur le quatrième de couverture :

Limonov n’est pas un personnage de fiction. Il existe. Je le connais. Il  a été voyou en Ukraine ; idole de l’underground soviétique sous Brejnev ; clochard,  puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain branché à Paris ; soldat perdu dans les guerres des Balkans ; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement.
C’est une vie aventureuse et ambiguë : un vrai roman. Et c’est une vie qui, je crois, raconte quelque chose. Pas seulement sur lui, Limonov, pas seulement sur la Russie, mais sur notre histoire à tous depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Cerise sur le gâteau, Emmanuel Carrère nous donne une petite leçon de méditation :

On s’en fait toute une montagne quand on n’a jamais essayé, mais c’est extrêmement simple, en fait, et peut s’enseigner en cinq minutes. On s’assied en tailleur, on se tient le plus droit possible, on étire la colonne vertébrale du coccyx jusqu’à l’occiput, on ferme les yeux et on se concentre sur sa respiration. Inspiration, expiration. C’est tout. La difficulté est justement que ce soit tout. La difficulté est de s’en tenir à cela. Quand on débute, on fait du zèle, on essaie de chasser les pensées. On s’aperçoit vite qu’on ne les chasse pas comme ça mais on regarde leur manège tourner et, petit à petit, on est un peu moins emporté par le manège. Le souffle, petit à petit, ralentit. L’idée est de l’observer sans le modifier et c’est, là aussi, extrêmement difficile, presque impossible, mais en pratiquant on progresse un peu, et un peu, c’est énorme. On entrevoit une zone de calme. Si, pour une raison ou pour une autre, on n’est pas calme, si on a l’esprit agité, ce n’est pas grave : on observe son agitation, ou son ennui, ou son envie de bouger, et en les observant on les met à distance, on en est moins prisonnier.

Emmanuel Carrère est né en 1957 à Paris. Diplômé de l’institut d’études politiques, d’abord journaliste, puis écrivain, scénariste et réalisateur. Ce livre sera l’un des grands succès commerciaux de la rentrée 2011.

Mensonges d’été – Bernhard Schlink

Mensonges d'été - Bernhard Schlink J’aime bien cet auteur, alors quand j’ai vu ce poche sur la table du libraire, je l’ai pris tout de suite. Il s’agit en fait d’un recueil de sept nouvelles publiées en 2012.

Comme le titre le suggère, les nouvelles traitent du mensonge… mais pas seulement en été ! Petit ou gros, par omission ou par peur, la vie humaine en est remplie… Bernhard Schlink, avec délicatesse et talent, va nous raconter quelques situations de ce genre. Comme toujours, c’est très bien écrit, et ces petites histoires en disent long sur l’âme humaine.

J’ai particulièrement aimé « Le dernier été », l’histoire d’un homme qui se sait condamné et prévoit d’en finir après un dernier été passé en famille… Très émouvant.

Et puis la dernière nouvelle « Le voyage vers le sud » : cette fois, c’est une dame qui se ment à elle-même sur ses souvenirs d’adolescence et son premier amour, persuadée qu’elle a été abandonnée puis s’est mariée avec un homme dont elle n’était pas amoureuse… Elle va revoir ce premier amour, et devoir reconnaître que les choses ne s’étaient pas vraiment passées comme ça… Très intéressant sur ces petits arrangements avec la conscience que l’on fait parfois : on travestit le passé pour se donner le beau rôle, ici celui de la victime.

Bernhard Schlink est un écrivain allemand né en 1944. Il fait des études de droit, devient professeur de droit public et de philosophie. Il commence par écrire des romans policiers (voir le nœud gordien ci-dessous, que je n’avais pas beaucoup aimé). Puis en 1995 il publie « Le Liseur », partiellement autobiographique, qui lui apportera la consécration.

Autres articles sur Bernard Schlink :

Le jour des corneilles – Jean-François Beauchemin

Le jour des corneilles - Jean-François Beauchemin Un autre petit livre recommandé par le libraire… Pas certain que ce soit vraiment un livre culte, comme fièrement indiqué sur le bandeau, mais enfin la lecture s’est révélée assez plaisante.

C’est par le langage que ce petit roman se démarque : l’auteur est québécois, certes, mais certains mots employés semblent soit venir du vieux français, soit être inventés… Et tout cela donne un style et une ambiance assez homogène dans laquelle on finit par se plaire.

L’histoire en elle-même m’a un peu rappelé L’homme qui savait la langue des serpents : nous sommes dans la forêt, loin de la civilisation, un  père élève seul son fils (le narrateur) depuis la mort de la mère. Le père est peu expansif, sujet au délire, et prompt à cogner. Le fils essaie de comprendre la vie, mais la folie grandissante de son père ne l’aide guère. Ça se terminera assez mal…

Je dois dire que j’ai lu ce livre il y a deux mois, et que j’ai gardé très peu de souvenirs de l’histoire en elle-même. Seul reste le charme de la lecture.

Jean-François Beauchemin est un écrivain québécois, né en 1960. Travaillant d’abord à Radio-Canada, il commence à écrire, publie plusieurs romans dont celui-ci en 2004. La même année, il est atteint d’une grave maladie qui va le plonger dans le coma six jours. Il en sortira, et écrit « La fabrication de l’aube », qui relate ce retour à la vie. Il dit à ce propos :

Jamais, je crois, je n’aurai été aussi complètement athée que maintenant, à présent que le souvenir de ce fatidique été 2004 s’évanouit peu à peu. Et pourtant, j’aime comme jamais cette image du Christ, figure mythique de tous les hommes, portant une croix, tombant, puis se relevant et marchant vers une vie autre.

Le jour des corneilles a inspiré un film d’animation du même nom.