Archives de catégorie : Littérature

Hommage à la Catalogne – George Orwell

Hommage à la Catalogne - George Orwell La guerre d’Espagne est un sujet passionnant, faisant partie de l’histoire récente, et dont il y a beaucoup à apprendre. Quand un écrivain comme George Orwell décide de faire le compte-rendu de sa propre expérience, ça vaut le coup de le lire.

Il va essentiellement nous raconter son expérience personnelle, assez brève en fait (environ 6 mois à partir de fin 1936) ; il en résulte une description surprenante de ce que peut être une guerre de position, coincé dans sa tranchée, mal ou pas armé (!), à souffrir plus de la faim et du froid que d’autre chose. D’autant qu’il se rend à Barcelone (pour se porter volontaire) avec sa femme, et que celle-ci l’y attend lorsqu’il est est sur le front.

Mais sa véritable intention est ailleurs : il s’est engagé dans les milices du P.O.U.M. (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste), un parti créé en 1935 à Barcelone, souvent réputé trotskiste, mais en fait simplement anti-stalinien. Atterré par la façon dont les intellectuels communistes accusent le P.O.U.M. de toutes les calomnies, il se décide à raconter ce qu’il  a vécu (le livre paraît, avec des difficultés, en avril 1938), en s’attachant à faire un récit d’une honnêteté scrupuleuse, très attentif à rapporter la vérité telle qu’il l’a vécue.

D’ailleurs, en le lisant, je pensais à L’homme qui aimait les chiens (Leonardo Padura), qui parle aussi un peu de cette période à Barcelone, et des manœuvres politiciennes de Staline et du Parti Communiste, plus concentré sur la prise de pouvoir parmi les républicains (socialistes/anarchistes/communistes) qu’à faire gagner la révolution.

A la fin du livre se trouvent deux appendices, originellement les chapitres V et XI, reporté ainsi à la demande de l’auteur :

Ils traitent de la politique intérieure de la révolution espagnole, et il me semble que le lecteur ordinaire les trouverait ennuyeux. Mais, en même temps, ils ont une valeur historique, surtout le chapitre XI, et il serait dommage de les supprimer. En écrivant ce livre, j’ai tâché de concentrer mes réflexions politiques sans ces deux chapitres, et on peut les mettre à la fin sans interrompre le récit.

Je les ai trouvé passionnants, car ils apportent beaucoup à la compréhension de ce que fût la guerre d’Espagne, de ses enjeux, et du  rôle des uns et des autres, en particulier des communistes :

A l’exception des petits groupements révolutionnaires qui existent dans tous les pays, le monde entier était résolu à empêcher la révolution en Espagne. Notamment le parti communiste, avec la Russie soviétique derrière lui, s’était jeté de tout son poids à l’encontre de la révolution. C’était la thèse communiste que, au stade actuel, faire la révolution serait fatal et que le but à atteindre en Espagne ne devait pas être le pouvoir ouvrier, mais la démocratie bourgeoise. Il est à peine besoin de souligner que ce fut cette ligne-là qu’adopta également l’opinion capitaliste « libérale ».

Voilà donc quelques extraits, où George Orwell nous conte son quotidien de milicien, nous fait part de l’expérience humaine inoubliable qu’il a alors vécu, puis sur l’évolution que pris cette guerre (ou cette révolution). C’est très bien écrit, et l’on sent toute l’importance que l’auteur met à vouloir partager son expérience, à dire sa vérité.

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Équatoria – Patrick Deville

Équatoria - Patrick Deville Retour à Patrick Deville et à ses romans mêlant histoire et voyage. Cette fois, nous partons en Afrique centrale, et le fil rouge sera cette fois Pierre Savorgnan de Brazza, explorateur français d’origine italienne, dont la capitale de la République du Congo tirera son nom : Brazzaville.

Globalement, même remarque que pour Pura Vida (qui nous emmenait en Amérique centrale) : un peu trop fouillis, trop de personnages et de lieux que l’on ne connaît pas, et l’on s’y perd un peu. Une simple carte de l’Afrique localisant les lieux, les fleuves, les villes mentionnées en début d’ouvrage n’aurait pas été superflue.

Une fois encore, il est préférable de connaître l’histoire (un peu) et la géographie (beaucoup) pour apprécier les œuvres de Patrick Deville à leur juste valeur…

Reste la découverte de cet explorateur atypique, pacifiste, tenant à payer et nourrir décemment les porteurs utilisés dans les expéditions, allant même jusqu’à s’opposer au ministre des Colonies français qui veut soumettre les nouveaux territoires découverts au régime de la concession : on confie alors ces terres aux sociétés privées pour l’exploitation… Voir à ce sujet Voyage au Congo d’André Gide pour se faire une idée de l’horreur coloniale qui en résulte.

L’auteur aurait pu se concentrer sur cet explorateur qui  mérite l’attention, mais ce serait trop simple. Il nous emmène vers d’autres personnages, passant de l’un puis à un autre au gré des lieux traversés : Livingstone, Stanley, et d’autres moins connus comme Emin Pacha d’Equatoria ou Tippu Tip de Zanzibar… Tous explorant le cœur de l’Afrique, cherchant les sources des fleuves, ou à tracer les routes commerciales d’Ouest en Est ou du Nord au Sud. Équatoria représente d’ailleurs la partie Sud du Soudan, aux sources du Nil.

Autres articles sur Patrick Deville :

Patrick Deville est un écrivain français né en décembre 1957. Il suit des études de littérature comparée et de philosophie à Nantes, puis voyage pas mal apparemment. En 2011, le magazine Lire élit Kampuchéa meilleur roman de l’année. En 2012, il reçoit pour Peste & Choléra le prix Femina, le prix du roman fnac, et le prix des Prix littéraires.

Opium Poppy – Hubert Haddad

Opium Poppy - Hubert Haddad Deuxième roman que je lis de cet auteur, après Palestine, qui ne m’avait pas particulièrement plu, notamment le style employé par l’auteur.

Il en est un peu de même pour celui-ci, même si sa lecture a tout de même été plus plaisante : l’auteur ne s’envole pas dans de grandes phrases poétiques, et reste plus concret, ce que je préfère de beaucoup.

Mais bon, l’histoire est quand même un peu simpliste, avec ce gamin afghan paumé à Paris (on le serait à moins !) après avoir subi la guerre en Afghanistan, perdu sa famille, et même obligé de tuer son propre frère, avant de partir en exil… L’histoire se terminera mal.

Petit roman, il a l’avantage de se lire assez vite. Mais que d’évidences dans ce récit ! Alors, oui, la guerre c’est moche, et les conséquences sur les enfants terribles.

Hubert Haddad est né en 1947 en Tunisie. Écrivain de langue française, poète, romancier, historien d’art.

Sur les falaises de marbre – Ernst Jünger

Sur les falaises de marbre - Ernst Jünger C’est le libraire qui m’a conseillé ce livre alors que l’on parlait de « belle écriture ». J’avais pour ma part entendu parler de cet auteur, mais pour un autre livre : Heliopolis (mi-SF, mi-philosophique, ça me tentait bien), hélas épuisé apparemment.

Les critiques parlent du chef-d’œuvre d’Ernst Jünger pour ce roman allégorique (fable ?), écrit peu avant la seconde guerre mondiale (1939), et où certains veulent voir un avertissement contre le nazisme.

Le sujet est celui de la civilisation contre la barbarie, et de l’impossibilité de rester neutre. Tout cela dans un monde imaginaire, La Marina, où deux frères vivent paisiblement dans un ermitage, occupés par leur bibliothèque et leur herbier, vivant en accord avec la nature, etc… Mais le Grand Forestier, seigneur du pays au nord, va envahir et détruire La Marina. Oh le vilain méchant !

Je n’en dirai pas plus, vu qu’arrivé à la moitié, j’ai refermé le bouquin. Peut-être y retournerai-je un jour, vu que tout le monde semble unanime, mais franchement, ça ne m’a pas du tout plu et je m’ennuyais ferme page après page : beaucoup trop éloigné de la réalité à mon goût. Exemple au hasard :

Une période étrange s’ouvrit alors pour nous à La Marina. Tandis que dans le pays le crime prospérait comme le réseau des moisissures sur le bois pourri, nous nous absorbions de plus en plus profondément dans le mystère des fleurs, et leurs calices nous semblaient plus grands, plus radieux que jamais. Mais avant tout nous poursuivions notre travail sur le langage, car nous reconnaissions dans la parole l’épée magique dont le rayonnement fait pâlir la puissance des tyrans. Parole, esprit et liberté sont sous trois aspects une seule et même chose.

Il semble bien que l’épée magique n’ait pas suffit à sauver La Marina…

Ernst Jünger (1895-1998) est un écrivain allemand. Il participa aux deux guerres mondiales, dans les troupes de choc au cours de la première et sous l’uniforme de la Wehrmacht comme officier de l’administration militaire d’occupation à Paris à partir de 1941. Officiellement, il s’est tenu à l’écart de la vie politique de son pays à l’arrivée des nazis au pouvoir, mais cette vision est contestée par certains comme Michel Onfray (qui fidèle à son habitude décortique la vie du personnage et la compare au contenu de son œuvre). Figure controversée dans son pays, sa vie d’homme de lettres est apparemment plus importante que celle de militaire…

Bloody Miami – Tom Wolfe

Bloody Miami - Tom Wolfe J’avais bien aimé Acid Test du même auteur (roman déjanté sur la période hippie de San Francisco), aussi quand j’ai  vu celui-ci en poche sur la table du libraire, je l’ai pris.

Tom Wolfe, c’est l’inventeur du « nouveau journalisme » : un style littéraire, mais priorité aux faits de l’enquête. Ici, on doute qu’il s’agisse de faits, tant les personnages sont caricaturaux. Le style, c’est celui de Wolfe, rempli d’onomatopées comme « uhrghhh », « hock hock hock », « Moiaahhh » ou encore « Craaaaaschhhh » ; il faut aimer (ou supporter).

L’histoire : un jeune flic cubain, Nestor Camacho, à la musculature impressionnante sauve un exilé cubain en mauvaise situation, mais ce dernier est arrêté par la même occasion (et probablement refoulé), sous le regard des médias. Il passe à la télé : héros pour les uns, mais traître pour la communauté cubaine et donc sa famille, il se sent mal. Quand il arrête quelques jour plus tard un dealer noir, les choses se compliquent encore pour lui, désormais étiqueté comme raciste par les médias. Comble de malchance, il vient de perdre sa copine Magdalena, une superbe ‘latina’ qui préfère son patron le docteur Norman Lewis, un ‘porno-psychiatre’, blanc, WASP, riche et connaissant des gens encore plus riches. Parmi ces derniers, un mécène russe n’est pas insensible aux charmes de Magdalena, pendant que Nestor enquête avec un jeune journaliste sur les tableaux que ce mécène a offert à la ville… seraient-ils des faux, et le mécène un horrible mafieux ? Par ailleurs, le chef de police est afro-américain, et le maire d’origine cubaine.

Comme on le voit, un scénario taillé sur mesure pour parler des problèmes communautaires de Miami, avec tous les excès qui sont associés à cette ville : débauche, sexe, argent-roi, corruption, violence, etc… La plupart des personnages de ce roman sont soit complètement perdus dans ce monde, soit en profitent sans aucune retenue ni morale.

Mais huit cents pages pour tout ça ? c’est certainement trop, des pages et des pages de description assez inutiles (sans parler des onomatopées) à mon goût.

Tout de même, au final, une description assez cruelle de la fin du rêve américain (one more !), version Miami 2012.

Tom Wolfe est né en 1933 aux États-Unis. Il est l’un des créateurs (avec Norman Mailer, Truman Capote, J. Didion, Hunter S. Thompson) du Nouveau journalisme. Ses premiers écrits sont souvent une critique du mode de vie américain. Il est surtout  connu pour son roman « Le bûcher des vanités » (1987) porté à l’écran par Brian de Palma.

Mao, l’histoire inconnue – Jung Chang & Jon Halliday

Mao, l'histoire inconnue - Tome 1 - Jung Chang & Jon Halliday Après avoir lu Les habits neufs du président Mao de Simon Leys (qui nous a malheureusement quitté en  août dernier), et discutant avec le libraire de ce cher Mao, il m’a proposé cette biographie non-officielle parue en deux gros tomes (+1200 pages) chez Folio Histoire.

Le livre de Simon Leys se concentrait sur une période très précise (1967-1969), au plus fort de la Révolution culturelle, et dénonçait le premier à un Occident incrédule que ce n’était qu’une gigantesque (et tragique) manipulation de Mao Zedong destinée à lui rendre les pleins pouvoirs.

Ces deux tomes reprennent quant à eux toute la vie de Mao, et ce n’est pas triste ! Alors attention : c’est totalement « à charge », et le portrait dressé par les deux auteurs est sans concession, c’est le moins que l’on puisse dire. Mao y apparaît comme un véritable monstre prêt à tout pour conquérir le pouvoir suprême et s’y maintenir, notamment en sacrifiant son peuple sans compter. Ainsi le quatrième de couverture déclare :

Mao Tsé-toung, qui pendant vingt-sept ans détint un pouvoir absolu sur un quart de la population du globe, fut responsable de la mort d’au moins soixante-dix millions de personnes en tant de paix, plus que tout autre dirigeant au XXe siècle.

Et le livre se termine par l’épilogue suivant :

Le portrait de Mao et sa dépouille continuent de dominer la place Tienanmen, au cœur de la capital chinoise. L’actuel régime communiste se déclare l’héritier de Mao et s’emploie toujours énergiquement à perpétuer son mythe.

Après avoir regardé un peu sur internet, ce livre est assez critiqué, en dépit de son succès de librairie… Surtout par les sinologues professionnels : que ce chiffre de soixante-dix millions de morts est difficilement vérifiable d’une part, que la méthode utilisée par les auteurs n’est pas celle d’un véritable travail universitaire d’autre part (malgré les dix ans de recherches qu’ils y ont consacré), et enfin que Mao était un dirigeant complexe, tiraillé de contradictions et aux multiples facettes.

Alors bon, ce n’est peut-être pas  un travail universitaire, mais personnellement je l’ai dévoré. D’autre part, les dictateurs « tiraillé de contradictions et aux multiples facettes », ça me laisse un peu froid. Hitler aimait la peinture, Mao la poésie, et alors ? Enfin, quelque soit le nombre de millions de morts, le chiffre exact importe peu…

Revenons au livre en lui-même : le style est très agréable à lire, et la narration parfaite : on est très vite accroché, et les multiples personnages chaque fois remis en contexte (j’avais peur d’une multitude de noms, d’une complexité à suivre tout cela, comme dans le livre de Simon Leys). L’histoire est passionnante, du début à la fin.

À vingt-quatre ans, Mao déclare ceci :

Je ne souscris pas à l’idée que pour être moral le motif de nos actions doit tendre au bien d’autrui. […] Bien entendu, il y a dans le monde des gens et des objets, mais tous ne s’y trouvent que pour moi. […] nous n’avons aucun devoir envers les autres. […] D’aucuns prétendent que l’on est responsable envers l’histoire. Je n’en crois rien. La seule chose qui m’intéresse, c’est mon développement personnel […]. J’ai mon désir et j’agis conformément à ce qu’il me dicte. Je ne suis responsable envers personne. »

Cela m’a fait immédiatement penser à L’Unique et sa propriété de Max Stirner : même apologie de l’égoïsme ! Là où c’est intéressant, c’est que Stirner n’en devient pas pour autant un monstre. Il reste sympathique, plus préoccupé par sa liberté de pensée en fait (hantise du conditionnement) que par l’idée de se servir des  autres. Mao n’aura pas cette élévation de l’esprit.

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Pura Vida – Patrick Deville

Pura Vida - Patrick Deville Après Peste & Choléra puis Kampuchéa que j’avais apprécié tous les deux, je continue l’exploration de cet écrivain Nantais qui mêle avec bonheur histoire et géographie dans ses romans.

Celui-ci traite de l’Amérique centrale, et de nombreux révolutionnaires qui passèrent par là. Le « fil rouge » est William Walker, aventurier américain au destin improbable qui tenta de conquérir plusieurs pays d’Amérique centrale, devint même (brièvement) président du Nicaragua, avant d’être fusillé par l’armée du Honduras.

Le style de Patrick Deville est toujours le même, mêlant les notes de son propre voyage au fil des différents pays visités pour préparer son roman. Mais bon, cette fois, j’ai eu un peu de mal à accrocher, peut-être parce que je ne connais bien ni la région, ni son histoire (plutôt mouvementée !).

Par de brefs chapitres, on passe trop souvent et trop vite d’un sujet à l’autre ; Simon Bolivar est mentionné par là, on évoque le Che par ici ; la vie de Augusto Sandino (Nicaragua Sandiniste) est racontée en  deux ou trois pages… Difficile aussi de se faire une chronologie de tout ça. Voilà d’ailleurs ce que dit Patrick Deville à un moment :

J’accumulais ainsi des notes pour une histoire du sandinisme ou même du Nicaragua. Ou de l’Amérique centrale dans son ensemble. Et éventuellement pour des récits qui rassembleraient un jour lointain certains couples historiques, sur le modèle des Vies parallèles de Plutarque, la vie et la mort de Simon Bolivar et de Francisco Morazàn, de Narciso López  et de Louis Schlessinger, d’Augusto César Sandino et de Tacho Somoza, d’Antonio de la Guardia et de Roque-Dalton, du vrai Che Guevara et du faux, le Che punto-50… Il ne m’échappait pas pourtant pas, à la présenter ainsi, qu’une entreprise d’aussi vaste envergure devait de loin excéder les modestes forces à ma disposition, et que les précipiter dans une telle aventure équivaudrait à lancer une poignée d’Indiens à l’assaut des tuniques bleues en terrain découvert, ou une poignée de mercenaires au-devant de  l’armée hondurienne.

Alors, certes, c’est plaisant, on apprend plein de choses comme toujours, personnages fameux ou oubliés de l’Histoire, mais j’ai trouvé qu’on manquait de contexte parfois, ou que l’on survolait un morceau d’Histoire de manière un peu frustrante. Le lien entre les anecdotes n’est pas toujours évident, si ce n’est la zone géographique, ce qui donne finalement un beau patchwork sur l’Amérique centrale.

D’un autre côté, ce livre est paru en 2004, soit bien avant les deux autres livres cités, plus récents. Peut-être que l’auteur a affiné son style ? il faut dire aussi que je connais mieux l’histoire du Cambodge, c’est peut-être aussi pour cela que j’avais plus apprécié Kampuchéa.

Autres articles sur Patrick Deville sur le blog :

Patrick Deville est un écrivain français né en décembre 1957. Il suit des études de littérature comparée et de philosophie à Nantes, puis voyage pas mal apparemment. En 2011, le magazine Lire élit Kampuchéa meilleur roman de l’année. En 2012, il reçoit pour Peste & Choléra le prix Femina, le prix du roman fnac, et le prix des Prix littéraires.

Journaux de voyage – Albert Camus

Journaux de voyage - Albert Camus Deuxième livre d’Albert Camus après Le premier homme, dernier roman (inachevé) de l’auteur.

Celui-ci n’est pas un roman, mais un recueil de deux cahiers concernant deux voyages, l’un aux États-Unis (1946), le second en Amérique du Sud (1949).

Ce petit livre se lit très vite. Il s’agit d’un véritable journal de voyage, et la forme littéraire n’est pas toujours là, ce sont parfois de simples notes jetées sur le papier, avec des phrases très courtes, mais d’autres fois, le texte et la réflexion sont plus élaborés.

Camus se servait par la suite de ces « cahiers » pour écrire ses romans. Ainsi certains passages ébauchés ici se retrouvent dans des romans, retravaillés. Une façon de voir comment l’auteur construit son œuvre.

C’est très agréable dans l’ensemble, on perçoit un peu de la personnalité de Camus, à lire ce qu’il pense de telle soirée, ou de telle rencontre… c’est parfois sans pitié !

Voilà quelques exemples. L’arrivée à New-York d’abord :

Fatigué. Ma grippe revient. Et c’est les jambes flageolantes que je reçois le premier coup de New-York. Au premier regard, hideuse ville inhumaine. Mais je sais qu’on change d’avis. Ce sont les détails qui me frappent : que les ramasseurs d’ordures portent des gants, que la circulation est disciplinée, sans intervention d’agents aux carrefours, etc., que personne n’a jamais de monnaie dans ce pays et que tout le monde a l’air de sortir d’un film de série.

Avant d’arriver à Rio :

Nous arrivons dans deux jours. Tout d’un coup, l’idée de quitter ce bateau, cette cabine étroite où j’ai pu abriter pendant de longs jours un cœur détourné de tout, cette mer qui m’a tant aidé, m’effraie un peu. Recommencer à vivre, à parler. Des êtres, des visages, un rôle à jouer, il y faudrait plus de courage que je n’en sens. Par bonheur, je suis en pleine forme physique. Il y a pourtant des moments où je voudrais éviter la race humaine.

Après une réception avec un hôte particulièrement pédant :

Mais Chamfort a raison : quand on veut plaire dans le monde il faut se résoudre à se laisser apprendre beaucoup de choses qu’on sait par des gens qui les ignorent.

Enfin, après avoir exprimé sa satisfaction d’avoir passé une soirée avec des compatriotes :

Le soir, dîner chez Robert Claverie. Rien que des Français, ce qui me repose. Quand on parle une langue étrangère, il y a, dit Huxley, quelqu’un en soi qui dit non de la main.

Albert Camus (1913-1960) est un écrivain, philosophe, dramaturge français, né en Algérie. Il est aussi journaliste engagé dans  la Résistance française durant la seconde guerre mondiale, et proche des courants libertaires dans les combats moraux de l’après-guerre.

Les fils de l’homme – P.D. James

Les fils de l'homme - P.D. James Retour à la science-fiction avec ce roman dont je ne sais plus comment j’en ai entendu parler. Toujours est-il que j’avais noté :

Et si l’espèce humaine venait à être frappée de stérilité ? – sur la société totalitaire – SF.

On rentre très vite dans l’histoire, et ce qui m’a immédiatement plu, c’est le ton de la narration : c’est bien écrit, mais au-delà, il y a une certaine mélancolie qui se dégage, une sorte de fatalité sur le destin de l’espèce humaine, particulièrement au début du roman.

D’autant que l’histoire commence (livre premier : l’omega) par la présentation de la situation, forcément peu optimiste : une humanité qui ne peut plus se reproduire est de fait vouée à la disparition ; le cadre de la société se délite forcément, et les libertés individuelles sont réduites par un pouvoir devenu totalitaire. Heureusement, dans la seconde partie intitulée «livre II : l’alpha», vous l’aurez compris, une bonne nouvelle survient.

La suite est assez classique, avec tout le suspense requis, car il s’agit de protéger cette première naissance. Mais on se laisse entraîner sans problème jusqu’au dénouement final, où le dictateur Xan fait preuve d’une certaine naïveté…

P. D. James née en 1920 à Oxford, est une femme écrivain de romans policiers. « Les fils de l’homme » est sans doute le seul roman d’anticipation qu’elle ait écrit. Un film en a été tiré en 2006, réalisé par Alfonso  Cuarón.

L’homme qui aimait les chiens – Leonardo Padura

L'homme qui aimait les chiens - Leonardo Padura Sous ce titre un peu mystérieux se cache un superbe roman historique. J’ai vraiment beaucoup aimé, que ce soit le sujet ou le style, et les 700 pages sont passées comme une lettre à la poste. Excellent bouquin, passionnant de bout en bout, et avec une très belle couverture en plus ! 😉

Ce roman est l’histoire de l’assassinat de Léon Trotsky par le dénommé Ramón Mercader, de nationalité espagnole, un jour d’août 1940, à Mexico (partie historique)… racontée par un cubain qui a longtemps préféré garder le silence tellement il avait peur des conséquences (partie romancée).

En 1977, ce cubain avait en effet rencontré sur une plage de Cuba un vieil homme se promenant avec deux magnifiques Barzoï ; « L’homme qui aimait les chiens » (puisque c’est de lui dont il s’agit) finit par lui raconter une longue histoire… qui le fascine et l’effraie à la fois : on est à Cuba, et certaines choses ne sont pas permises, comme le révisionnisme historique (enfin remettre en cause l’histoire déjà révisée… comme de dire du bien de Trotski, officiellement traître au stalinisme).

Tout commence pendant la guerre d’Espagne où le jeune Ramón est recruté par les services secret soviétiques, tandis qu’au même moment, Trotski part en exil, sachant pertinemment que Staline le tuera lorsqu’il n’en aura plus besoin, quelles que soient les précautions qu’il prendra. Puis commence l’époque des procès staliniens qui font froid dans le dos : Staline, en bon dictateur, commence ses purges, et Trotski peut encore servir à en justifier certaines. Alors seulement l’inévitable adviendra.

Là où le roman est très fort, c’est justement pare que c’est un cubain qui la raconte. Le personnage a lui aussi connu (et subit) le communisme dans sa jeunesse : quand il se décide à raconter cette histoire, en 2004, beaucoup d’eau a coulé sur les ponts, et il sait de quoi il parle.

Le roman est parfaitement écrit (et traduit), et ce fut un véritable plaisir de le lire. Concernant la vérité historique du roman, le mieux est de laisser Leonardo Padura l’expliquer lui-même dans ses remerciements à la fin du livre :

À l’heure de sa conception, […] alors que nous étions au XXIe siècle et que l’URSS était morte et enterrée, j’ai voulu me servir de l’histoire de l’assassinat de Trotski pour réfléchir à la perversion de la grande utopie du XXe siècle, ce processus où nombreux furent ceux qui engagèrent leur espérance et où nous fûmes tant et tant à perdre nos rêves et notre temps, quand ce ne fut pas notre sang et notre vie.  Et c’est pour cette raison que je m’en suis tenu, le plus fidèlement possible (souvenez-vous qu’il s’agit d’un roman, malgré l’étouffante présence de l’Histoire dans chacune des pages), aux épisodes et à la chronologie de la vie de Léon Trotski, durant les années où il fut exilé, harcelé et finalement assassiné, et que j’ai essayé de conserver tout ce que nous savons avec certitude (en vérité bien peu de choses) de la vie ou des vies de Ramón Mercader, reconstruit(s) en bonne partie au fil de la spéculation à partir de ce qui est vérifiable et de ce qui est historiquement possible ou plausible d’après le contexte. Cet équilibre entre réalité tangible et fiction concerne aussi bien Mercader que de nombreux autres personnages réels qui apparaissent dans le récit romancé — j’insiste, romancé — et construit par conséquent selon les libertés et les besoins de la fiction.

Le livre va sortir en poche dès le mois prochain (collection Points, voir ici) : ça peut valoir le coup d’attendre si vous comptez l’acheter bientôt.

Leonardo Padura est un journaliste et écrivain cubain, né à La Havane en 1955. Il est l’auteur du Cycle Les Quatre saisons, quatre polars avec dans le rôle principal Mario Conde, un flic « hétérosexuel macho-stalinien », alcoolo et désabusé, vengeur des petits et des faibles, que je vais me faire un plaisir de lire.