La mort est mon métier – Robert Merle

C’est ma sœur qui m’a donné ce livre, sans quoi je ne l’aurais sans doute pas lu, le sujet étant plutôt morbide. Et puis voilà, je l’ai lu assez rapidement, le récit est prenant, et le portrait de cet homme assez terrifiant.

C’est l’histoire de Rudolf Lang (qui s’appelait en réalité Rudolf Hoess), le commandant de camp d’Auschwitz. L’auteur nous explique dans la préface que l’essentiel de sa vie nous est connu par le psychologue américain Gilbert qui l’interrogea dans sa cellule pendant le procès de Nuremberg. Rudolf Hoess a également rédigé une confession écrite, mais les documents que Gilbert a communiqué à Robert Merle sont de loin les plus révélateurs du personnage.

La première partie du récit est une narration imaginée de l’enfance de Rudolf Hoess. Et c’est vraiment la clef de la personnalité qui va en découler : il vit une enfance très dure, avec un père terrible d’autorité, de foi religieuse qui va jusqu’au délire… L’enfant est obsédé par l’obéissance, le devoir, l’ordre, le désir de bien faire, la peur de la punition, et se montre incapable de la moindre empathie envers les humains. Il subit des crises d’angoisse où le monde extérieur s’estompe, et ne reste que la peur qu’une chose terrible va arriver.

La deuxième partie est, selon l’auteur, plus l’œuvre d’un historien s’attachant à retranscrire la lente mise au point de l’usine de mort d’Auschwitz. Mais tout repose en fait sur son enfance : Rudolf Lang est proprement déshumanisé, et semble incapable de ressentir la moindre émotion. C’est pour cela qu’il sera remarqué par ses supérieurs, car il pousse très loin le désir d’exécuter ce qu’on lui demande, quoique que ce puisse être. Himmler le repérera et en fera son instrument dévoué.

La préface de Robert Merle se termine ainsi :

Ce qui est affreux et nous donne de l’espèce humaine une opinion désolée, c’est que, pour mener à bien ses desseins, une société de ce type trouve invariablement les instruments zélés de ses crimes.

C’est l’un de ces hommes que j’ai voulu décrire dans La mort est mon métier. Qu’on ne s’y trompe pas, : Rudolf Lang n’était pas un sadique. Le sadisme a fleuri dans les camps de la mort, mais à l’échelon subalterne. Plus haut, il fallait un équipement psychique très différent.

Il y a eu sous le Nazisme des centaines, des milliers, de Rudolf Lang, moraux à l’intérieur de l’immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs « mérites » portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l’impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l’ordre, par respect pour l’État. Bref, en homme de devoir : et c’est en cela justement qu’il est monstrueux.

Je pensais à « Soumission à l’autorité » de Milton Friedman, forcément, mais là ça va plus loin, en tout cas d’après le portrait qu’en fait Robert Merle, le problème est encore plus profond : s’il n’est pas sadique, il était par contre déshumanisé, bon pour l’asile.

Voilà son histoire en résumé :

Il fuira la maison à 15 ans : nous sommes en 1916, et il arrive à s’engager dans l’armée allemande, dans les dragons, malgré son jeune âge. Il part se battre au Moyen Orient, est blessé plusieurs fois, décoré. Il obéit aux ordres et tue sans aucun remords. L’armée lui convient parfaitement, car tout y est organisé, et il y suffit d’obéir aux ordres.

Puis c’est la démobilisation, une période de vaches maigres où l’Allemagne est réduite à la misère par les vainqueurs de la guerre. Sa première expérience en usine se termine mal, car il fait son travail à fond, mettant les autres ouvriers en difficulté : il est tout simplement incapable de faire autrement : on lui a confié un travail, il le fait bien, et le plus rapidement possible. Il se fera finalement virer, car il crée des troubles avec les ouvriers.

Il erre alors sans but, parlant peu, incapable d’émotions, toujours sujet à ses crises d’angoisse. Il manque de se suicider d’un rien, et s’inscrit au parti nationaliste (chemises brunes). Il tue un traître à la cause, et se retrouve en prison pour cinq ans. Le recrutement du  parti nationaliste va bon train, car l’Europe (principalement la France) humilie et pille les ressources de l’Allemagne. À trop humilier le vaincu, on sait ce qui va arriver…

À sa sortie de prison, il est envoyé « au vert » par le parti. On lui confie une ferme à retaper, puis de s’y installer avec femme et meubles : le colonel propriétaire des terres devra l’obliger à se marier, tant il est solitaire et peu attiré par une vie commune. Leur vie est très dure, sans espoir d’enrichissement, mais au moins ils mangent à leur faim.

1936 : Hitler arrive au pouvoir, et Himmler lui propose de s’occuper de Dachau : il s’agit de créer le camp qui s’occupera de rééducation pour les personnes emprisonnées. Il devient vite officier dans les SS. Cela lui plaît, car la vie est organisée comme dans l’armée. Quand la Pologne est envahie, il demande à partir au front car il préfère se battre, mais Himmler refuse, le pensant plus utile au camp.

Il est alors chargé se préparer la mise en place d’un projet encore secret : l’élimination des juifs dans les camps, les premières solutions mises en place se révélant peu satisfaisantes : « seulement » 80 000 morts en 6 mois ; on lui explique que le problème numéro un est l’enfouissement des cadavres : l’empilement des cadavres dans les charniers prend du temps, et il faut aller de plus en plus loin au fil du temps… Glaçant !

Hoess va s’atteler à la tâche sans émotion aucune, un ordre est un ordre, il va l’exécuter du mieux possible. Ce sera la mise au point du système le plus efficace, étudié sous un mode industriel, avec pour seul but de trouver la meilleure façon d’arriver aux chiffres demandés. Il faut que les juifs entrent dans la pièce sans provoquer de heurts, que la gazage soit le plus efficace et le plus rapide possible, et enfin que le problème des cadavres soit résolu : la solution des fours pour les brûler réglera le problème.

Il sera arrêté par les alliés, témoin au procès de Nuremberg, et jugé en Pologne. Sa défense sera qu’il n’a fait qu’obéir aux ordres, le mot clef sera « déshumanisé », il n’éprouve aucun remords, son seul regret est qu’Himmler se soit suicidé, qu’il n’ait pas assumé ses actes, car lui ne faisait qu’exécuter les ordres de son chef.

2 réflexions sur « La mort est mon métier – Robert Merle »

  1. Super d’avoir publié un commentaire sur ce bouquin. Cela illustre aussi très bien la position qu’Hannah Arendt a essayé d’expliquer au monde, qui l’a rejeté (voir le bon film réalisé sur son histoire), que n’importe quel individu peut devenir un bourreau. Elle l’a compris en assistant justement au procès d’un nazi, peut-être et pourquoi pas d’ailleurs celui de Hess.

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