Le démon dans ma peau – Jim Thompson

Comme prévu, j’ai lu ce roman après que l’auteur ait expliqué l’origine de son inspiration dans l’excellent Vaurien (voir article précédent).

Je dois dire que c’est bien mené, avec Lou Ford, ce shérif adjoint qui nous raconte à la première personne son délire de meurtres, particulièrement de femmes, suite à un traumatisme qu’il a subi dans son enfance. Et il va aller loin avant d’être empêché de nuire, car même s’il est vite soupçonné, l’absence de preuves et sa flagornerie toute sudiste lui permettent de poursuivre son projet en toute impunité.

Le style est prenant, avec toutes ces proverbes à la noix que Lou balance sans arrêt à ses interlocuteurs, ce qui le fait passer pour un abruti bavard, et qui l’arrange pour mener à bien ses projets (un peu comme dans un autre des romans de Jim Thompson, 1275 âmes, dont s’est inspiré Bertrand Tavernier pour « Coup de torchon »). Il y a aussi toutes ces phrases non achevées (presque trop), avec des points de suspension, car dans le Sud, il y a des choses qui ne disent pas… La société décrite est finalement assez inquiétante : on peut faire beaucoup de choses tant que les apparences sont sauves.

Un grand roman noir, où Jim Thompson montre tout son talent, adapté à l’écran sous le titre éponyme du roman : « The killer inside me ».

Jim Thompson (1906-1977), est un écrivain américain de roman noir, un nouvelliste et un scénariste de cinéma. Il écrira au total vingt-neuf romans, en partie autobiographiques, dont la plupart servant avant tout à rembourser des dettes. Il meurt dévoré par l’alcool et la maladie, dans la misère et l’anonymat.
Il a peu été reconnu de son vivant, ce n’est qu’après sa mort que sa réputation grandit. Côté cinéma français, le film « Coup de torchon » de Bertrand Tavernier a donc été adapté de « 1265 âmes » (excellent !); « Série noire » d’Alain Corneau avec Patrick Deweare est adapté de « A hell of a woman » (« Une femme d’enfer »  ). Outre-atlantique, on peut aussi citer « Les Arnaqueurs » comme autres adaptations connues.

Vaurien – Jim Thompson

Toujours Jim Thompson, avec cette fois une sorte d’autobiographie où l’auteur nous raconte sa jeunesse pour le moins cahotique.

Son père est disons un original, autodidacte, ayant horreur de l’ignorance et forçant son fils, dès huit ans, à lire des ouvrages entiers comme l’Histoire de l’Amérique en douze volumes ou l’intégrale de la Correspondance des Présidents. Mais comme Jim refuse d’apprendre à l’école, il devient une calamité pour ses professeurs, sachant des choses qu’eux ignoraient, mais ignorant ce qu’il aurait du savoir…

Nous sommes au début du XXème siècle, et la famille passe de la fortune à la pauvreté suite à un revers de fortune quand le père se lance dans plusieurs forages de pétrole infructueux. De plus, il ne voit jamais le mal chez les autres, et se fait facilement arnaquer. La crise de 1929 ne va rien arranger à la situation, et il ne retrouvera jamais la réussite.

Très vite, Jim va devoir travailler en plus de l’école pour aider la famille, puis partir sur la route chercher le moindre travail. Il va faire plein de petits boulots : chasseur d’hôtel, poseur de pipelines, journaliste, j’en passe et des meilleurs, tout en essayant d’écrire et de proposer ses textes à des éditeurs. Doté d’une constitution robuste, il en abuse pourtant, en particulier l’alcool qui l’accompagnera toute sa vie. Mais aussi le tabac, auquel on peut ajouter un état dépressif car il ne s’en sort pas…

Ce sont ces anecdotes de sa jeunesse qu’il nous raconte en toute franchise, et on ne s’ennuie pas une seconde, c’est réellement passionnant. Par l’époque d’une part, et par le personnage d’autre part, qui a acquis une expérience de la vie incroyable. Un vrai plaisir de lecture. Il nous raconte une anecdote qui mérite d’être contée, et qui lui inspira un roman des années plus tard :

Mêlé à une bagarre, il écope d’une amende dix-huit dollars à payer dans les trois jours. Travaillant sur un derrick perdu dans la campagne à quarante miles de la ville, il décide de pas payer, persuadé que personne ne viendra le chercher. Mais le shérif-adjoint se pointe le quatrième jour, et Jim essaie de la jouer au plus malin en restant en haut de son derrick. Le policier l’attend alors tranquillement en somnolant sur le plancher, et quand Jim descend finalement, pris par la faim et la soif, la situation change brutalement :

– Tu sais, ce n’était pas très malin, dit-il, Et c’est…
– Et c’est comme ça, le coupais-je. D’accord, mettons-nous en route.
Son sourire se maintint et s’élargit même un peu. Mais c’était un sourire figé, sans humour, et un voile semblait être tombé sur ses yeux.
– Qu’est-ce qui te rend si sûr, dit-il doucement, que tu vas quelque part ?
– Eh bien, je… — je déglutis — je-je…
– Un endroit salement isolé, ici, pas vrai ? Pas âme qui vive des miles à la ronde à part toi et moi.
– A-attendez, je-je n’essayais pas de…
– Ai toujours vécu ici, continua-t-il du même ton, tout le monde me connaît. Personne ne te connaît. Et nous sommes seuls. Que penses-tu d’ça, toi qui es si futé ? Tu te balades dans l’coin, tu pètes le feu et tu rates pas une connerie. Comment tu crois qu’un pauv’ péquenot pas bien malin comme moi réagirait dans un cas pareil ?
Il me fixa longuement et son sourire lui découvrit toutes les dents. Je restais paralysé et muet, une grosse boule glacée se formant dans mon estomac. Le vent sifflait et gémissait à travers le derrick. Il reprit la parole, en réponse à une question que je n’avais pas posée.
– J’en ai pas besoin, dit-il, Y’a rien de c’qu’on peut faire avec un revolver qu’on puisse pas bien mieux faire autrement. J’vois pas à quoi m’servirait un revolver ici.
Il déplaça légèrement ses pieds. Les muscles de ses épaules se gonflèrent. Il prit dans sa poche une paire de gants noirs en chevreau et les enfila, lentement. Il se frappa du poing la paume de la main.
– J’vais te dire une chose ; te dire deux p’tites choses. Y’a pas moyen de savoir c’que vaut un type rien qu’en le regardant. Y’a pas moyen de d’viner ce qu’il risque de faire s’il en a l’occasion. Tu vas te souvenir de tout ça ?
J’étais incapable de parler, mais je réussis à hocher la tête. Son sourire et son regard reprirent leur expression naturelle.
– Tu m’as l’air faiblard, dit-il, tu devrais p’t’être manger et boire avant qu’on parte ?.

Et Jim Thompson de conclure :

Il était allé aussi loin dans l’amabilité que le lui permettait son éducation et son sens des bonnes manières. Cela n’avait rien donné avec moi, alors il avait changé de tactique. C’était clair, à partir du moment où j’essayais de voir les choses par ses yeux et non par les miens.
Je ne savais pas s’il m’aurait tué parce qu’il ne le savait pas lui-même.
En fin de compte, l’âge venant, je suis parvenu à le faire revivre sur le papier — le meurtrier sardonique, sympathique de mon quatrième roman, Le Démon dans ma peau. Mais cela m’a pris du temps, près de trente ans.
Et son souvenir ne m’a toujours pas quitté.

Ce sera donc ma prochaine lecture : Le démon dans ma peau (The killer inside me)… 😎

Il mentionne aussi un autre roman, Nuit de fureur, dont le cadre lui a été inspiré par un boulot dans une boulangerie industrielle, un travail dur et quasiment ininterrompu, 7 jours sur 7, pour 12 dollars la semaine.

Je termine par une blague qui montre son humour :

C’était une grosse femme, bouffie, plus tout à fait de première fraîcheur. Je ne me prononcerai pas sur les dates, mais je peux certifier sans guère de risque, quel que soit l’âge du plus vieux métier du monde, qu’elle avait dû faire partie des membres fondateurs.

Jim Thompson (1906-1977), est un écrivain américain de roman noir, un nouvelliste et un scénariste de cinéma. Il écrira au total vingt-neuf romans, en partie autobiographiques, dont la plupart servant avant tout à rembourser des dettes. Il meurt dévoré par l’alcool et la maladie, dans la misère et l’anonymat.
Il a peu été reconnu de son vivant, ce n’est qu’après sa mort que sa réputation grandit. Côté cinéma français, le film « Coup de torchon » de Bertrand Tavernier a été adapté d’un de ses romans, « 1265 âmes » (excellent !); « Série noire » d’Alain Corneau avec Patrick Deweare est adapté de « A hell of a woman » (« Une femme d’enfer »  ). Outre-atlantique, on peut aussi citer « Les Arnaqueurs » et « The killer inside me » (« Le démon dans ma peau » ) comme autres adaptations connues.

Écrits perdus 1968-1977 – Jim Thompson

Deuxième tome de ces écrits perdus de Jim Thompson, plus concis, et que j’ai moins apprécié que le premier.

Je ne suis pas un grand fan des nouvelles, c’est parfois difficile d’y accrocher de par leur brièveté et le manque d’approfondissement. Mais là, on commence par deux textes inachevés, dont le premier assez conséquent (90 pages) qui s’arrête brusquement sans que l’on ait le moindre dénouement, et vous laissant totalement sur votre faim !

Puis viennent deux petits textes de quelques pages, dont un synopsis sans grand intérêt. Et l’on termine par deux vraies nouvelles inédites, une première où le personnage masculin tient un rôle assez machiste à la limite du proxénète et la femme est hyper sexualisée… Dans la seconde, c’est une histoire assez sombre entre un frère et une sœur aux relations ambigües…

Bref, pas le meilleur de Jim Thompson à mon goût, et nettement moins intéressant que le premier tome de ces « écrits perdus ». Les textes de ce deuxième tome sont d’une époque où l’auteur était peu publié, après la disparition des « Pulps » dont il était assez dépendant. Il commençait et abandonnait des romans après en avoir proposé un échantillon substantiel à ses agents…

Jim Thompson (1906-1977), est un écrivain américain de roman noir, un nouvelliste et un scénariste de cinéma. Il écrira au total vingt-neuf romans, en partie autobiographiques, dont la plupart servant avant tout à rembourser des dettes. Il meurt dévoré par l’alcool et la maladie, dans la misère et l’anonymat.
Il a peu été reconnu de son vivant, ce n’est qu’après sa mort que sa réputation grandit. Côté cinéma français, le film « Coup de torchon » de Bertrand Tavernier a été adapté d’un de ses romans, « 1265 âmes » (excellent !); « Série noire » d’Alain Corneau avec Patrick Deweare est adapté de « A hell of a woman » (« Une femme d’enfer »  ). Outre-atlantique, on peut aussi citer « Les Arnaqueurs » et « The killer inside me » (« Le démon dans ma peau » ) comme autres adaptations connues.

Écrits perdus 1929-1967 – Jim Thompson

Je continue de piocher dans ma bibliothèque, et me tourne vers Jim Thompson, une référence de la grande époque des polars américains « série noire ».

La première nouvelle est aussi brève que glaçante, on est dans la tête d’un fou… Les suivantes, de la période 1929, sont révélatrices de la pauvreté ambiante et de conditions de vie de l’époque qui nous paraissent extrêmes aujourd’hui. La recherche quotidienne de quelques pièces pour survivre jusqu’au lendemain…

Viennent ensuite quelques chroniques policières, des reportages sur des crimes réels, chose que Thompson appréciait particulièrement. Des histoires qui sont en fait des récits de faits d’hiver, des meurtres à élucider, racontés à la première personne par l’un des enquêteurs, pas toujours identifié d’ailleurs.

Puis d’autres nouvelles racontant des arnaques à la petite semaine, des combines plus ou moins sophistiquées, qui réussissent ou échouent lamentablement. Les types sont parfois tout aussi minables que leurs combines, eux aussi vivent au jour le jour… J’ai bien aimé celle où l’arnaqueur ayant réussi son coup, s’apprête à prendre le train pour New-York, habillé comme un prince grâce à son butin, et qui repère sur le quai un couple de petits vieux qui lui semblent des proies parfaites même s’il a les poches pleines, « parce qu’il était un escroc de sa nature, et qu’un escroc doit toujours escroquer. ». Mais les petits vieux sont des escrocs de haut vol et le pigeon ne sera pas celui que l’on croit…

On termine avec des récits plus autobiographiques, avec un écrivain en galère, alcoolique, fauché… Ils sont écrits de manière très factuelle, sans sentiment ni apitoiement. C’est pourtant de lui-même qu’il parle, et il dit tout.

Jim Thompson (1906-1977), est un écrivain américain de roman noir, un nouvelliste et un scénariste de cinéma. Il a peu été reconnu de son vivant, ce n’est qu’après sa mort que sa réputation grandit. Côté cinéma français, le film « Coup de torchon » de Bertrand Tavernier a été adapté d’un de ses romans, « 1265 âmes » (excellent !); « Série noire » d’Alain Corneau avec Patrick Deweare est adapté de « A hell of a woman » (« Une femme d’enfer »  ). Outre-atlantique, on peut aussi citer « Les Arnaqueurs » et « The killer inside me » (« Le démon dans ma peau » ) comme autres adaptations connues.

Le cercle fermé – Wessel Ebersohn

Après La nuit divisée, je continue avec Wessel Ebersohn avec ce deuxième roman présent dans ma bibliothèque.

Cette fois Yudel accepte d’enquêter moyennant finance (il est fonctionnaire) sur une série de meurtres ou d’intimations commis sur des leaders radicaux au cours des dernières années. Les mandants sont persuadés qu’il s’agit de la police de la sécurité, organe tout puissant en Afrique du Sud. Reste à le prouver !

Yudel va donc chercher à comprendre ce qui relie toutes ces affaires, ce qui est loin d’être évident : les cibles comme les méthodes employées sont assez diverses, le temps a passé, et faire parler les témoins s’avère compliqué sinon dangereux.

Honnêtement, je m’y suis un peu perdu et autant ennuyé à essayer de suivre ses investigations, et l’intérêt de cette première partie (soit les 3/4 du roman) n’est pas passionnante. Toujours est-il qu’après avoir été averti une première fois, Yudel se retrouve à l’hôpital après avoir reçu une flèche d’arbalète dans la poitrine. Manifestement, son enquête commence à sérieusement déranger.

La deuxième partie raconte brièvement comment le pays commença alors à changer (fin 1986), comment les communautés noires se révoltèrent, refusant d’être traités de la sorte par les autorités, comment on frôla la révolution, et comment la communauté blanche (ou au moins une partie) comprit qu’il fallait changer les choses pour éviter le pire. Ces quelques pages valent à elles seules de lire le livre.

Dans la troisième partie, Yudel traque et pousse à bout l’un des responsables qu’il a finalement pu identifier grâce à ses talents de psychologue, un officier de la police de sécurité. Mais le système étant ce qu’il est, il n’obtiendra pas mieux que sa démission. Le roman se termine par un épilogue où l’on voit qu’aucun coupable n’est finalement poursuivi, et que la plupart des victimes ont du quitter le pays. Bienvenue en Afrique du Sud des années 80.

Wessel Ebersohn, né en 1940 au Cap, est un écrivain sud-africain. Ce roman est en fait le dernier volet d’une trilogie, commencée par La nuit divisée. Il me manque le deuxième intitulé Coin perdu pour mourir. Avec cette trilogie, l’auteur a eu de nombreuses « tracasseries policières » de la part de l’ex-gouvernement d’Afrique du Sud.

La nuit divisée – Wessel Ebersohn

Pris dans ma bibliothèque un peu au hasard, je me souvenais de cet auteur de polar sud-africain, et peu importe qu’ils aient brisé nos rêves de coupe du monde de rugby ! 😉

Je ne sais pas si l’on peut vraiment parler de polar, car Yudel, le personnage principal n’est pas un policier, mais un psychiatre qui travaille pour l’administration pénitentiaire. C’est la police qui lui envoie Mr Weizmann, un commerçant de 60 ans, « un brave pépé qui tue des gens ».

Il semble bien que le dénommé Weizmann laisse volontairement la porte de son épicerie entrouverte la nuit pour attirer les voleurs, toujours de race noire, et les abattre. Prétextant la légitime défense, il est systématiquement relâché.

Yudel est un fin psychologue, qui pratique éventuellement l’hypnose. Il observe son interlocuteur à l’affut du moindre signe révélateur : un mot, un mouvement des yeux, une réaction, et il décode l’information. C’est sa façon d’enquêter, et c’est assez intéressant à suivre.

En toile de fond, il y a bien sûr le racisme institutionnalisé des Afrikaners envers les noirs, mais c’est la société de l’Afrique du Sud qui est décrite, avec le fameux « apartheid » (aboli en 1991) qui ne laisse finalement aucun droit aux noirs. Et si le pépé Weizmann a eu une enfance traumatique, eh bien, on le laisse commettre ses meurtres déguisés… Yudel va tenter d’enrayer le mécanisme mortel.

A Soweto, comme dans la petite boutique de la rue Mybourgh, la nuit était divisée. Ici aussi, l’amour et le groupe se battaient contre la douleur et l’aliénation pour le pouvoir. Et ici non plus Yudel ne voyait pas de solution.

Wessel Ebersohn, né en 1940 au Cap, est un écrivain sud-africain. À l’époque de la rédaction de ce roman (1981), il a du se séparer de sa femme pour des raisons de sécurité. Menacé par le gouvernement sud-africain, il se retira dans un lieu secret au bord de la mer, mais ne put empêcher que sa femme soit l’objet de nombreuses tracasseries policières.

Pierre qui brûle – Donald E. Westlake

Après Kahawa, j’ai enchaîné avec un autre roman de Westlake, en fait le premier de la série Dortmunder, également mentionné dans l’émission de France Culture.

Le ton est vite donné quand Kelp, l’ami de Dortmunder, vient attendre ce dernier à sa sortie de prison : Kelp vient de voler une belle Cadillac pour épater son ami, mais ne maîtrise pas l’utilisation des nombreux boutons du tableau de bord. S’en suit une méprise, Dortmunder pensant qu’on l’attend pour l’exécuter…

Mais Kelp va proposer « un coup » à Dortmunder, le planificateur de génie, le roi du braquage : dérober une émeraude pour le compte d’un pays africain. Et le vol bien préparé sera exécuté sans coup férir… à un petit détail près, qui nécessitera une seconde opération pour récupérer un complice arrêté et qui seul sait où se trouve l’émeraude.

Et ainsi de suite, il faudra pas moins de cinq opérations, parfaitement planifiées et exécutées, pour enfin parvenir à mettre la main sur cette fichue pierre. Malchance, trahison, il faudra tout le génie et l’obstination de Dortmunder pour parvenir à sortir la tête haute de cette histoire.

Vous l’aurez compris, un polar léger, et moi qui ne suis pas trop fan des mélanges de genres, je dois dire que c’est bien écrit et assez drôle, certains dialogues font mouche, et cette histoire se lit avec plaisir.

Donald Westlake (1933-2008) est un écrivain et scénariste américain, également connu sous de nombreux pseudonymes (Richard Stark, Alan Marshall, Tucker Coe …). Ses personnages les plus connus sont John Dortmunder, voleur brillant mais terriblement malchanceux (signature : Donald Westlake), et Parker, un personnage beaucoup plus sombre, sans états d’âme, brutal et violent (signature : Richard Stark).

Kahawa – Donald Westlake

Il y a eu récemment deux émissions radios sur FC (redifusions) sur cet auteur de polars américain qui fait partie des grands maîtres du genre. Il a la particularité d’avoir utilisé plusieurs pseudonymes pour ses romans, mettant en scène des personnages très différents, et pratiquant l’humour dans un genre plutôt noir à priori. Bref, un auteur qui brouille les pistes.

Il en ressortait qu’un très bon roman mentionné dans l’émission était sur mon étagère, je me suis empressé de le relire, et ce fût un vrai plaisir, n’ayant gardé que peu de souvenirs de ma précédente lecture, il y a longtemps !

C’est d’ailleurs un des bons côtés du temps qui passe, les bouquins accumulés sur les étagères, mis en cartons et transportés au cours des différents déménagements d’une vie en se demandant si ça vaut la peine, commencent enfin à porter leurs fruits : si on ne se souvient pas l’histoire en détail, on se souvient qu’un roman vous avait plu ou pas, et venir piocher dedans est très agréable (et économique) !

Ici ce n’est pas vraiment un polar, Westlake nous proposant cette fois un roman d’aventure : le casse du siècle dans l’Ouganda d’Idi Amin Dada ! Il s’agit tout simplement de faire disparaître un train transportant toute la récolte de café du terrible dictateur. Valeur : six millions de dollars. De quoi attirer des convoitises, mais aussi des coups tordus, sans parler du danger à opérer à portée de la police secrète d’Idi Amin et de son « State Research Bureau », un endroit où il ne vaut mieux pas être emmené pour interrogatoire…

Le roman démarre au tout début de la préparation du projet, ce qui nous permet de découvrir les différents personnages impliqués, et nous laisse le temps de découvrir leurs personnalités, leurs motivations, de nous les faire aimer ou pas. Car on ne fait pas disparaître un train comme ça ! Mais quand l’opération proprement dite démarre, on reste scotché au bouquin jusqu’à la fin… Suspense garanti !

Cerise sur le gâteau, la traduction est de Jean-Patrick Manchette, gage d’une bonne traduction ! Selon lui, Westlake fait d’ailleurs partie des grands auteurs de polars américains :

On vibre avec Stark, on rumine amèrement avec Tucker Coe, et on rigole le plus souvent avec Westlake, quoique cette dernière et première signature soit celle qui réserve, et se réserve, le plus de surprises.
Ceux qui manquaient de hauteur ont voulu s’élever au-dessus de leur genre. La grandeur de Westlake est de travailler toujours contre sa propre élévation.

Donald Westlake (1933-2008) est un écrivain et scénariste américain, également connu sous de nombreux pseudonymes (Richard Stark, Alan Marshall, Tucker Coe …). Ses personnages les plus connus sont John Dortmunder, voleur brillant mais terriblement malchanceux (signature : Donald Westlake), et Parker, un personnage beaucoup plus sombre, sans états d’âme, brutal et violent (signature : Richard Stark).

Le romantique – William Boyd

Cadeau d’amis venus passer le week-end dans le Finistère, j’ai eu plaisir à renouer avec cet auteur que j’avais découvert il y a longtemps avec son excellent premier roman « Un anglais sous les tropiques ».

Le sous-titre du roman est : « Ou la vraie vie de Cashel Greville Ross », et l’auteur dans un court prologue nous explique qu’il est tombé par hasard sur une autobiographie inachevée qu’il a tenté de reconstituer dans le mesure du possible, en ajoutant la maxime suivante : « Toute biographie est une œuvre de fiction, mais une fiction qui doit coller aux faits documentés« . Alors fiction ou réalité ? disons plutôt un artifice de l’auteur…

Mais dans ce prologue, William Boyd dit quelques chose d’intéressant :

Si fascinants soient-ils, ces écrits griffonnés et ces rares objets ne suffisent pas pour brosser le portrait d’un homme ayant vécu plus de quatre-vingts ans. Que laissons-nous derrière nous quand nous mourons ? Au départ, elle semble prodigieuse, cette montagne de « choses » que nous avons acquises, toutes nos possessions, le bric-à-brac et la paperasse accumulés au long d’une vie. Mais elle s’effrite inexorablement, à un rythme surprenant, et en quelques décennies, un demi-siècle, un siècle, elle se réduit à presque rien.

Et pourtant la vie de Cashel sera loin d’être banale : fils non reconnu d’un noble, blessé à Waterloo à 15 ans, puis membre de l’armée des Indes, il voyage en Europe et s’installe en Italie où il rencontre l’amour de sa vie, la comtesse Rafaela, ainsi qu’accessoirement Lord Byron et le poète Shelley. Puis il part chercher fortune aux États-Unis, revient en Angleterre pour partir à la recherche des sources du Nil à cinquante-six ans où bien sûr il va croiser John Speke (le découvreur officiel) qui lui volera sa découverte… Je m’arrête là, lui non, il lui reste encore un peu de temps pour les dernières aventures de sa vie !

Et même un peu trop à mon goût, son départ en Afrique a été pour moi le voyage de trop, tellement peu crédible à son âge, comme si l’auteur voulait multiplier les aventures sans tenir compte de l’âge. J’aurais préféré un épisode aux États-Unis plus long et plus abouti.

Mais c’est un plaisir que de lire le récit de Boyd, qui nous emmène avec allégresse dans les aventures de Cashel, qui comme il le répète à loisir a toujours écouté son cœur, « Est-ce une grande force ou une terrible faiblesse ? ». Personnellement, je trouve qu’il a surtout cherché à assouvir ses pulsions, rien de bien grandiose sur ce point, et le titre du roman me paraît du coup largement usurpé. Mais pour le reste, c’est du pur bonheur : du style, un super récit, des aventures… Tout est là pour passer un bon moment, et s’y replonger avec délices.

William Boyd, né en 1952 à Accra (Ghana), est un écrivain britannique. Il a écrit de nombreux romans dont plusieurs se passent en Afrique (Un anglais sous les tropiques, Comme neige au soleil, Brazzaville plage), et même un James Bond (Solo) à la demande de la famille de Ian Fleming. Il partage sa vie entre Londres et le Sud-Ouest de la France.

Les frères de Soledad – George Jackson

C’est Simone de Beauvoir qui parlait de George Jackson dans le dernier tome de ses mémoires. Elle expliquait qu’elle et Sartre comptaient se rendre à son procès, mais qu’il fût abattu avant que celui-ci n’eût lieu (par un gardien, dans la cour de la prison). J’ai eu envie d’en savoir plus sur cette histoire.

Beau bouquin avec trois préfaces avant de commencer : une première de Jean Genêt essentiellement sur les conditions carcérales et le racisme aux États-Unis, lui qui a fait de la prison et fréquenté les Black Panthers…

Puis une seconde par le collectif Angles Morts (qui milite sur la violence et les crimes policiers) qui retrace l’histoire du racisme quasi institutionnel aux États-Unis, et particulièrement en prison (dont parlait Edward Bunker dans « La bête contre les murs », et que justement Jackson va dépasser pour rallier tous les détenus dans une lutte contre le système et les matons), tout en reprenant tout l’historique de ce qui est arrivé à George Jackson. Passionnant, sauf à la fin où ils font un parallèle avec la situation en France, avec un chapitre intitulé : « Des frères de Soledad aux frères de Villiers-le-Bel».

Goerge Jackson est « présent » pour tous ceux qui sont tombés sous les coups de la police et pour ceux qu’on enferme et qui meurent derrière les murs des prisons françaises.

Comparer la situation raciale et pénitentiaire entre les États-Unis et la France, c’est largement hors sujet, du fait même du côté institutionnel de l’autre côté de l’Atlantique développé au début de leur propre texte.

La troisième préface est écrite par le neveu de George Jackson, le fils de son frère Jonathan. Ce dernier fut abattu par la police alors qu’il tentait une action armée pour libérer les frères de Soledad :

Ce jour-là, Jonathan Jackson fait irruption, fusil au poing, dans le tribunal du comité de Marin où est jugé James McClain, un prisonnier noir accusé d’avoir poignardé un maton à San Quentin. À l’aide de deux prisonniers présents pour témoigner en faveur de James McClain, William Christmas et Ruchell Magee, Jonathan Jackson prend cinq otages, dont le juge et le substitut du procureur. Il exige la libération des Frères de Soledad. Quelques minutes plus tard, une pluie de balles s’abat sur la fourgonnette où Jonathan Jackson avait amené les otages. Jonathan, dix-sept ans, William Christmas et James McClain sont abattus, ainsi que le juge.

Vient ensuite une première lettre, sorte d’autobiographie de Jonathan Jackson, qui éclaire un peu son personnage, sa construction. Comme il le dit lui-même, il a toujours été en opposition, que ce soit à la maison ou à l’école. Issu d’une famille très pauvre, il s’en suit une vie dans la rue à ne faire que ce qu’il veut, des petits vols, des bagarres, le racisme… Le destin est tout tracé : maison de redressement, prison… Accusé d’avoir volé 70$ dans une station-service, il accepte un marché : avouer et n’avoir en retour qu’une légère peine de prison à la prison du comté. Mais il écope d’une condamnation à vie au pénitencier. Il a dix-huit ans !

En fait il est condamné à une peine indéterminée (jolie invention américaine), et doit chaque année passer devant une commission qui décide ou non de lui accorder une liberté conditionnelle, qu’il n’obtiendra jamais, quelque soit sa conduite. La même peine donc que Ron dans La bête contre les murs d’Edward Bunker. Au fil de ces années de prison, George Jackson s’y politisera, se formera aux théories révolutionnaires et adhérera au Black Panther Party, d’inspiration marxiste-léniniste.

Les circonstances de sa mort ne sont pas très claires : George Jackson est retrouvé mort dans la cour de promenade de la prison, abattu par les tirs d’un garde, au terme de ce qui sera présenté comme « une tentative d’évasion ». Les versions contradictoires et improbables présentées à la presse par l’administration pénitentiaire n’arrangeront rien, et James Baldwin dira: « Aucun Noir ne croira jamais que Jackson est mort de la façon dont ils nous ont dit qu’il était mort ».

Venons-en maintenant aux lettres proprement dites.

Continuer la lecture… Les frères de Soledad – George Jackson

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