Un petit boulot – Iain Levison

Un petit boulot - Iain Levison C’est par un article du Canard enchaîné que j’ai entendu parler de cet auteur ; c’était pour un autre livre (« Tribulations d’un précaire ») mais il y avait une référence à celui-ci, son premier roman. Il en était dit le plus grand bien, humour décapant dans un Amérique où sévit le chômage…

Je l’ai lu en moins d’une journée, assez vite accroché par l’histoire et le ton mordant avec lequel elle est contée : dans une petite ville des États-Unis, la crise économique a frappé de plein fouet, et plusieurs usines ont fermées, laissant beaucoup de personnes sur le carreau.

Jake Skowran est l’une d’entre elles, passablement écœuré par ce monde où seul compte le profit. Sa copine l’a quitté, il a du résilier son abonnement au câble et vendre sa télé, couper le chauffage de l’appartement… et pour couronner le tout, il a des dettes de jeu. Jusqu’au jour où un bookmaker mafieux lui propose « un petit boulot »… qui consiste à tuer sa femme qui le trompe ! N’ayant plus rien à perdre, Jake accepte et va devenir tueur à gage, sans aucun remord.

C’est un bon polar, avec une écriture assez directe, et qui se lit très vite ; toute l’histoire est parsemée de réflexions sur la crise économique qui frappe et provoque le désespoir, la misère, la honte des gens… Et c’est plutôt bien vu ! Voilà trois petits extraits pour vous faire une idée : vous verrez que les réflexions de Jake sur la société sont très lucides… comme pour la façon dont il aborde le métier de tueur à gage !

Si le directeur de l’empire Gas’n’Go m’appelait demain matin pour me dire que je suis foutu dehors encore une fois, la qualité de mon travail n’en souffrirait pas. Je n’arrêterais pas de nettoyer et je ne me mettrais pas à voler, comme ils le pensent. C’est pour ça que, en supposant que les licenciements soient jamais nécessaires, nous ne l’apprenons qu’à la dernière minute. Ils considèrent chaque fourmi ouvrière comme un traître potentiel qui crève d’envie de s’emparer de leur bien. Mais moi et les gars avec qui je travaillais n’étions pas là pour eux, ni même pour leur chèque. Nous étions là pour nous, parce que nous pouvions former une équipe et faire un boulot. Et le pire dans les licenciements, ç’a été de découvrir soudain que l’équipe était un mirage, créé par la direction pour obtenir davantage de nous à moindre coût. Ce que nous réalisions n’avait de sens que pour nous.

Peut-être que rien de tout ça n’est vrai. Peut-être que Corinne Gardocki passe ses journées comme bénévole dans un foyer pour sans-abri et que son histoire avec le pilote de ligne est le produit de la paranoïa sénile de Gardocki. Le « pilote de ligne » est peut-être son frère. En fait ça m’est égal. Elle va mourir parce que j’ai été licencié d’une usine rentable en plein milieu de ma carrière. Elle va mourir parce que ma copine m’a quitté, parce que je ne supporte pas la vie de chômeur. Corinne Gardocki est une femme morte parce qu’un petit malin de Wall Street a décidé que notre usine ferait de plus gros bénéfices si elle se trouvait au Mexique. Je t’aurai, Corinne. Un problème moral ? Pas vraiment.

Tommy me fait bosser comme une bête, et quand arrive samedi je suis vraiment fatigué. Fatigué par le travail. Quelle sensation merveilleuse et oubliée. Ceux qui ont un boulot et bossent comme des bêtes n’apprécient pas à sa juste valeur le privilège de ce sentiment de satisfaction, la beauté de leur épuisement, qu’ils peuvent porter comme une médaille. Cet épuisement vous donne de l’énergie, vous savez que vous avez apporté votre contribution, changé quelque chose. J’ai changé quelque chose en remplissant les pots à café, en nettoyant par terre et en enregistrant des paquets de chips et des bières. Je suis redevenu un travailleur.

Iain Levison, né en 1963 à Aberdeen, est un écrivain américain d’origine écossaise vivant à Philadelphie. Après avoir vécu avec sa mère célibataire dans un taudis d’Aberdeen, il part vivre aux États-Unis en 1971. Son premier livre, Tribulations d’un précaire est un récit autobiographique sur les 42 petits boulots qu’il a exercés à la fin de sa licence de lettres. Un petit boulot (2003) est son premier roman.

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