Le jour où Nina Simone a cessé de chanter – Darina Al-Joundi / Mohamed Kacimi

Le jour où Nina Simone a cessé de chanterLivre conseillé par la libraire, ma seule condition étant un format poche.

C’est un livre fort, qui raconte l’histoire d’une jeune fille née au Liban en 1968… La guerre du Liban démarrant en 1975 (et qui va durer 17 ans), inutile de vous dire que ça ne sera pas une adolescence heureuse. Surtout si l’on est une femme, et élevée par son père dans un idéal de laïcité et de liberté.

Littérairement parlant, j’ai trouvé la narration un peu sèche, les événements racontés parfois à la suite les uns derrière les autres sans souci de lien. Avec aussi une certaine crudité dans la narration, certaines scènes étant assez violentes… mais bon les choses sont dites comme elles se sont passées, car il s’agit d’une histoire vraie, celle de Darina Al-Joundi, écrite par Mohamed Kacimi.

Dommage aussi qu’il n’y ait pas plus de contexte historique sur cette guerre du Liban avec tous ses protagonistes (palestiniens, israéliens, chrétiens), mais cela aurait été alors une autre histoire, pas celle de Darina… qui va la vivre de l’intérieur, au quotidien, en tant que femme, avec son besoin de vivre et de grandir dans ce pays en pleine folie meurtrière.

Le père de Darina est syrien, exilé au Liban où il enseigne la littérature. Sa mère est journaliste à la radio libanaise, et issue d’une grande famille. Son père élève ses enfants loin de la religion, son idéal est celui de la liberté, de la laïcité et de l’amour.

La jeune fille, après une enfance assez heureuse, va rencontrer la guerre en pleine adolescence, un moment de sa vie où l’on est plutôt épris de liberté… Le danger est présent partout, il leur faut souvent déménager (Beyrouth Ouest, puis Est, ou le Sud-Liban) et même s’exiler car le père écrit des chroniques de la guerre sous un pseudonyme. Elle va devoir faire son chemin seule, et se trompera souvent : alcool, drogue, sexe, Darina a bien du mal à survivre et à trouver sa voie, si tant est qu’il y en ait une. dans un monde occupé par des fous.

Voilà quelques extraits :

Elle travaille bénévolement pour la Croix rouge au moment du massacre de Sabra :

Des ruelles et des maisons jonchées de cadavres d’enfants, de femmes et de vieillards, tous gonflés par la chaleur. Les femmes s’arrachaient les cheveux, hurlaient, racontaient par bribes la nuit du massacre, les fusées éclairantes des Israéliens, l’arrivée des phalangistes ivres et drogués, leur joie à découper les hommes en les collant contre un mur, le viol des jeunes filles sous les yeux de leurs familles. […] Les gens ne reconnaissaient les leurs qu’à leurs vêtements, tellement ils étaient défigurés. Je soutenais les femmes au moment de l’identification. Je pleurais et je vomissais. Cela dépassait la rage, la tristesse et même la folie. Je me sentais égorgée moi-même. Ce qui m’a fait le plus peur à Sabra ce ne sont pas les morts, mais ce qui se lisait sur le visage des vivants. Je venais d’avoir quatorze ans.

Après leur arrivée à Chypre, ils souffrent d’insomnies :

À ce moment,  nous avons vécu d’affreuses insomnies, ni l’alcool ni les calmants n’en venaient à bout. Passé les premiers jours, nous nous sommes rendu compte que c’était à cause du silence qui régnait à Nicosie que nous ne trouvions pas le sommeil. Nous avons compris les dégâts que la guerre avait provoqués en nous, je me jetais sous les tables en entendant les sirènes des ambulances et mon père évitait toutes les fenêtres quand il entrait quelque part. Nous avons appris que la vie ce n’était pas la guerre car on disait tout le temps à Beyrouth et sous les bombes : «Mais nous on vit normalement».

Quand son père  meurt, elle tient la promesse qu’elle lui avait faite, à savoir ne laisser personne lire le Coran. Cela lui vaut d’être enfermée en hôpital psychiatrique (avec l’accord de sa mère) :

Je n’avais jamais connu la peur, dans les pires moments de la guerre, je rigolais sous les F16, je dansais aux moments des pires massacres, je faisais l’amour sous les bombes, mais au couvent de la Croix je tremblais tout le temps, j’avais peur des gifles des bonnes sœurs, peur de faire pipi, de laver les toilettes. Les femmes que je voyais autour de moi étaient pareilles à toutes les femmes que j’avais vues dans le monde arabe : des bêtes de trait. J’ai compris notre vulnérabilité de femmes, on a beau être une vedette, médecin, une célébrité, au moindre faux pas la femme redevient femme, bête de somme qu’on enchaîne comme on veut. J’avais peur de moi, je savais que je pouvais jouer le rôle de la folle et que je risquais de le rester pour de bon, cela m’était même plus facile que d’affronter cette société qui ne sait faire vivre les siens qu’avec un sentiment de honte. J’avais décidé de vivre, il fallait faire des compromis, il me fallait jouer leur jeu, en même temps, je voulais sortir du tunnel, aller vers la lumière. Toute ma liberté n’était qu’une illusion, il m’était plus facile en fait de rester avec les folles qui m’aimaient vraiment. Je pensais à Soumaya qui était amoureuse de moi et qui se jetait sur moi, me mordait jusqu’au sang. Il était plus facile de vivre avec elle qu’avec la société de Beyrouth où j’avais sur le dos toutes les étiquettes, droguée, pute, folle, lesbienne, athée…

Darina Al-Joundi, née en 1968 à Beyrouth, est une actrice syrio-libanaise. Elle se fait connaître en France lors du festival d’Avignon en 2007, par le spectacle éponyme « Le jour où Nina Simone a cessé de chanter », dont toute la presse saluera la performance, comme le raconte Mohamed Kacimi dans  la préface :

Elle qui était comédienne depuis l’âge de huit ans n’avait jamais joué en France. Son exil du Liban l’avait éloigné de la scène. Elle avait une telle avidité de jeu qu’au troisième jour les gens se battaient pour la voir. Impie, belle, ardente, et libérée, elle valait son pesant de poudre dans la Chapelle Sainte-Claire.

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