Petit cours d’autodéfense intellectuelle – Normand Baillargeon

Petit cours d'auto-défense intellectuelle - Normand Baillargeon Voilà un livre très utile en ces temps de communication si soignée. Il nous rappelle pas mal de principes de bases que l’on a parfois tendance à oublier, et tout cela sur d’une manière très claire et plaisante.
Une véritable initiation à la pensée critique : vous n’entendrez plus les résultats de sondages de la même oreille, ni ne verrez un graphique du même oeil.

La première partie du livre aborde les outils : le langage, la logique, la rhétorique, les nombres, les probabilités et la statistique (la partie maths et stats est un peu ardue, mais il est facile de comprendre l’essentiel).

On y aborde entre autres la démonstration de paralogismes courants (ou l’art de la fourberie mentale et de la manipulation), des rappels sur les nombres fort utiles (les chances de gagner au loto, la difficulté qu’a l’humain à évaluer les grands nombres), etc. On y apprendra également au passage quelques tours de magie, et quelques anecdotes historiques, comme la question du chevalier de Méré à Blaise Pascal, qui donnera naissance à la théorie des probabilités.

La seconde partie est consacrée à la justification des croyances selon les éléments suivants : l’expérience personnelle, la science empirique et expérimentale, et enfin les médias. Cette dernière partie est passionnante, puisque notre société est devenu très médiatique. Extraits :

A propos de la démocratie

Ici, pour la majorité des gens, il s’agit d’une démocratie de spectateurs et non de participants. L’information à laquelle ils ont droit est celle que leur préparent les véritables acteurs de la scène démocratique. Cette information doit les divertir; elle simplifie les informations à la mesure de ce qu’on pense être leur faible niveau de compréhension du monde – niveau que l’on souhaite bien sûr maintenir. Selon ce point de vue, la démocratie sainement comprise est donc fort différente de celle que la plupart des gens ont d’ordinaire et peut-être naïvement en tête.
Dans une des premières éditions de l’Encyclopedia of Social Sciences, parue dans les années 1930, un des plus éminents spécialistes des médias, Harold Laswell, expliquait qu’il importe surtout de ne pas succomber à ce qu’il nommait le « dogmatisme démocratique », c’est-à-dire l’idée selon laquelle les gens ordinaires seraient en mesure de déterminer eux-mêmes leurs besoins et leurs intérêts et qu’ils seraient donc en mesure de choisir par eux-mêmes ce qui leur convient. Cette idée est complètement fausse, assurait Laswell. La vérité est plutôt qu’une élite doit décider pour eux. Cela peut certes sembler problématique, du moins au sein d’une démocratie naïvement comprise. Mais Laswell proposait une solution bien commode : à défaut du recours à la force pour contrôler la population, on peut parfaitement la contrôler par l’opinion.

A propos des médias

Malgré qu’ils soient en droit des outils politiques fondamentaux d’élaboration d’un espace public de discussion, ils sont en passe de renoncer à cette tâche pour ne plus exercer qu’une fonction de propagande et d’occultation du réel. Autrement dit, même s’il n’est guère réjouissant que la télévision verse de plus en plus dans le reality show et autres spectaculaires stupidités, la véritable tragédie se joue désormais chaque soir, au téléjournal, par le recul et l’oubli de la mission politique et citoyenne d’information qui est celle des médias.

Et concernant la dépendance des médias envers la publicité, j’ai noté ceci : « les médias vendent moins des informations à un public que du public à des annonceurs », qui n’est pas sans rappeler le fameux « temps de cerveau disponible » de Patrick Le Lay. Tout le monde est d’accord.

La dissonance cognitive

J’ai bien aimé aussi cette remarque de Chomsky (qui signe le quatrième de couverture) :

[Si] vous vous conformez, vous commencez à obtenir les privilèges que confère le conformisme. Bientôt, parce qu’il est utile de le croire, vous en venez à croire ce que vous dites et vous intériorisez le système d’endoctrinement, de distorsions et de mensonges. Vous devenez ainsi un membre consentant de cette élite privilégiée qui exerce son contrôle sur la pensée et l’endoctrinement : tout cela se produit très couramment, jusqu’aux plus hauts échelons. Il est en fait très rare – c’est à peine si cela existe – qu’une personne puisse endurer ce qu’on appelle « la dissonance cognitive » – dire une chose et en croire une autre. Vous commencez donc à dire certaines choses parce qu’il est nécessaire de les dire et bientôt vous les croyez parce que vous devez les croire.

Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui pourtant s’en croient capables.

Normand Baillargeon enseigne les fondements de l’éducation à l’Université du Québec à Montréal.  Il est l’auteur de « L’ordre sans le pouvoir » et de « Les chiens ont soif ». Il est essayiste, militant libertaire et collabore à de nombreuses revues alternatives.
J’imagine qu’il a du aussi participer à des manifestations en première ligne, car il prend souvent comme exemple une société qui fabrique des matraques, quelque soit la démonstration à faire… La répétition en est quoiqu’il en soit très amusante.

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