Simon Leys – Le bonheur des petis poissons

Simon Leys La lecture de la rubrique Lettres ou pas Lettres du Canard de cette semaine parlait d’un livre de Simon Leys intitulé « Le bonheur des petis poissons ».

Vivant en Australie, Simon Leys, de son vrai nom Pierre Ryckmans (belge), est un écrivain, essayiste, et sinologue réputé. Il a précédemment écrit Les habits neufs du président Mao, chronique de la révolution culturelle Maoïste. Il y critique dès la première heure la dérive meurtrière de la révolution (raison de son pseudonyme d’ailleurs). Peu connu, il a rencontré un succès médiatique en 1983, lors de l’émission Apostrophes de Bernard Pivot.

Extrait de Wikipedia qui raconte l’anecdote :

Bernard Pivot avait également invité Maria-Antonietta Macciocchi, auteur du livre De la Chine.
Après avoir laissé cette dernière parler avec lyrisme de l’homme nouveau qui apparaissait en Chine, Simon Leys – qui avait vécu en Chine précisément pendant la période en question – répondit en fournissant plusieurs données factuelles suggérant qu’elle n’avait pas vérifié ses sources avant d’écrire son livre.« Il est normal que les imbéciles profèrent des imbécilités comme les pommiers produisent des pommes, mais moi qui ai vu chaque jour depuis ma fenêtre le fleuve Jaune charrier des cadavres, je ne peux accepter cette présentation idyllique par madame de la Révolution culturelle. » D’après une interview de Bernard Pivot, ce fut le seul cas où à la suite d’un passage à Apostrophes les prévisions de vente d’un livre furent révisées à la baisse.

On voit le genre du bonhomme… Revenons au Bonheur des petits poissons… Il s’agit donc de réflexions sur la vie, la culture, sur le monde qu’il décortique sans pareil.

Le titre du livre vient de l’histoire appelée Le savoir depuis le haut du pont :

Zhuang Zi et le logicien Hui Zi se promenaient sur le pont de la rivière Hao. Zhuang Zi observa :  » Voyez les petits poissons qui frétillent, agiles et libres ; comme ils sont heureux !  » Hui Zi objecta :  » Vous n’êtes pas un poisson ; d’où tenez-vous que les poissons sont heureux ? – Vous n’êtes pas moi, comment pouvez-vous savoir ce que je sais du bonheur des poissons ? – Je vous accorde que je ne suis pas vous et, dès lors, ne puis savoir ce que vous savez. Mais comme vous n’êtes pas un poisson, vous ne pouvez savoir si les poissons sont heureux. – Reprenons les choses par le commencement, rétorqua Zhuang Zi, quand vous m’avez demandé « d’où tenez-vous que les poissons sont heureux » la forme même de votre question impliquait que vous saviez que je le sais. Mais maintenant, si vous voulez savoir d’où je le sais – eh bien, je le sais du haut du pont.

Puis quelques réflexions notées dans l’article du Canard :

Simon Jeys adore parler littérature: « Nul écrivain ne dispose d’une puissance verbale qui pourrait rivaliser avec l’imagination de ses lecteurs ; aussi tout son art est-il de jouer sur ce clavier-là ». Pour lui, lire des romans est la seule manière de survivre : « En d’autres mots : les gens qui ne lisent pas de romans ni de poëmes risquent de se fracasser contre la muraille des faits ou d’être écrabouillés sous le poids des réalités ».

A propos du tabac : « Le tabac est pour l’homme un poison des plus dangereux ». Cette vertueuse mise en garde est devenue assez banale me direz-vous. Ce qui l’est moins – et qui devrait donner à réfléchir -, c’est l’identité de celui qui la formulait : Adolf Hitler. » Ça calme ! Il cite aussi Samuel Johnson qui écrivait « A mesure que l’usage du tabac diminue, l’insanité augmente », et se moque de la photo de Sartre à la cigarette censurée. Ainsi ce « fumer tue » sur les paquets, selon Leys, apporte un plus aux adeptes de la nicotine : « D’un certain point de vue, les fumeurs bénéficient d’une sorte de supériorité spirituelle sur les non-fumeurs : ils ont une conscience plus aigüe de notre commune mortalité ».

Enfin, à propos du travail, il cite La Bruyère « Il ne manque cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille s’appelât travailler ». Et n’est-ce pas « la délétère influence américaine » qui prône ce fameux « travailler plus » ? Nietzche vient au secours de Lyes : « Leur furieux besoin de travailler -qui est un vice typique du Nouveau Monde- est en train de barbariser par contagion la vieille europe, et engendre ici une extraordianire stérilité spirituelle. Déjà nous devenons honteux de notre loisir, une longue méditation nous cause presque du remords… « Faites n’importe quoi, mais ne restez pas à ne rien faire » : ce principe est la corde avec laquelle toutes les formes supérieures de culture et de goût vont se faire étouffer ».

Une pensée non conformiste, c’est toujours plaisant de nos jours.

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