Le casse du siècle – Michael Lewis

Le casse du siècle - Michael Lewis C’est un collègue du boulot qui m’a prêté ce livre ; j’en avais toutefois déjà entendu parler comme d’un bon bouquin sur la crise financière de 2008. En général, je ne suis pas trop fan de ce genre de littérature traitant de sujets d’actualité « à chaud », mais je dois dire que j’ai bien aimé celui-ci, en particulier les portraits qu’il dresse des acteurs de cette histoire.

Il y a malgré tout quelques aspects de technique financière d’abordés, un peu compliqués et barbants, mais limités au minimum et bien expliqués. On peut ainsi garder le fil en se limitant aux principes de bases, et là c’est un véritable polar que l’on tient dans les mains.

Donc la crise c’est très simple :

Prenez des gens malhonnêtes et sans aucun scrupule, dont le seul objectif est de faire du profit sans tenir compte des conséquences, au risque de faire exploser tout le système, y compris la démocratie : j’ai nommé les banques d’affaires (Goldman Sachs en est le symbole le plus abouti, mais loin d’être la seule). Dans ce monde, pas d’éthique, tout est permis et sacrifié sur l’autel du profit : conflits d’intérêts, obstruction à la justice, etc… Leurs traders, à peine sortis de l’école, sont les plus brillants et motivés par de très gros bonus, acceptant tout d’une hiérarchie hystérique et/ou incompétente. L’auteur Michael Lewis s’était retrouvé dans cette situation (diplômé d’un master en économie), et voilà ce qu’il en dit dans la préface :

Qu’une banque d’investissement de Wall Street ait été disposée à me payer des centaines de milliers de dollars pour prodiguer des conseils de placement à des adultes demeure à ce jour un mystère pour moi. J’avais 24 ans, et je ne connaissais rien, ni ne m’intéressais particulièrement, aux fluctuations du marché. La fonction essentielle de Wall Street était de répartir les capitaux : de décider qui devait en avoir on non. Croyez-moi quand je vous dis que je n’avais pas la moindre idée sur la question. Je n’avais jamais étudié la comptabilité, jamais dirigé d’entreprise, jamais même eu d’économies personnelles à gérer. Je m’étais retrouvé par hasard à travailler chez Salomon Brothers en 1985, et en étais ressorti, plus riche, en 1988, et bien que j’aie écrit un livre sur cette expérience, tout cela me semble toujours aussi grotesque.

Ajoutez-y une bonne dose d’incompétence avec les agences de notations (Moody’s, Standard & Poor’s), qui ont accordé leur fameux triple-A à des contrats très complexes sans n’y rien comprendre. À moins que là aussi, un peu de malhonnêteté et de conflits d’intérêts n’aient également joué un rôle… C’est vrai que leur traders ne sont pas les plus brillants non plus, loi du marché oblige ! Toujours est-il qu’avec une telle note, ces produits toxiques se sont disséminés partout sur la planète financière, ce ne sont pas les gogos qui manquent….

Et tout cela dans un marché obligataire à peu près sans réglementation, où l’on refuse que le pire puisse arriver : en fait, ils ne peuvent même l’imaginer, tant le système de pensée ambiant vous en empêche. C’est un aspect intéressant du livre, la description des rapports humains dans ces boites fait froid dans le dos.

Vous y êtes. Il ne reste plus qu’à proposer un prêt immobilier à des types qui au moindre problème (ou variation du marché) ne pourront pas le rembourser… mais quand ce système de crédit fonctionne bien depuis 15 ans, comment imaginer que cela puisse ne pas continuer ? qu’à force de tirer sur la corde et de prêter à des gens de plus en plus pauvres, ce qui doit arriver va vraiment arriver ?


Michael Lewis va nous raconter l’histoire de deux personnages atypiques, qui justement parce qu’ils ne font pas partie de ce milieu, vont deviner avant les autres que ces fameux prêts « subprimes » ne peuvent que mener dans le mur. Et ils vont donc parier contre (on appelle ça « être short »), grâce aux CDS, un autre produit financier de haute volée. Les deux personnages apparaissent un peu comme des héros lucides dans un monde de fous, mais mine rien ils participeront également à la catastrophe : s’ils sont les premiers à se rendre compte de la situation, ils seront suivis par bien d’autres, et des sommes colossales devront être versées au titre de ces contrats.

Steve Eisman, d’abord : analyste financier pour une petite société, peu enclin à la consensualité, atypique, plus intéressé par ses propres réflexions que par les gens autour de lui, se fichant totalement des bonnes manières (et donc se mettant des gens à dos). Sa mère explique :

En fait, Steven avait deux personnalités : la première était celle du petit garçon à qui elle avait offert le vélo flambant neuf dont il rêvait et qui avait aussitôt filé dans Central Park, prêté son vélo à un gamin qu’il ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam, et vu l’autre mettre les bouts avec. La seconde était celle du jeune homme qui avait entrepris d’étudier le Talmud, non parce qu’il éprouvait le moindre intérêt pour Dieu, mais parce qu’il voulait découvrir les contradictions internes du livre.

Puis Mike Burry : tout en faisant ses études de médecine (il obtiendra un diplôme de physicien), il commence à s’intéresser à la finance, crée un blog, et se fait connaître par la justesse de ses analyses. Lui aussi va sentir la crise venir, à force de lire ce que les autres ne lisent pas. Il passe la majorité de son temps seul, se plonge dans la lecture de documents complexes, comme ceux décrivant les produits élaborés par les banques d’affaire que personne ne lit, et surtout pas les agences de notations. Ce n’est que plus tard, lorsque son fils se verra diagnostiquer du syndrome d’Asperger (une forme d’autisme), qu’il se rendra compte qu’il en est de même pour lui.

Ces deux personnages vont donc jouer contre, et devenir riches par la même occasion, quand au même moment des milliers d’américains vont se retrouver « homeless ».

Voici quelques extraits :

Le marché obligataire

Le marché obligataire, puisqu’il était principalement constitué de gros investisseurs institutionnels, n’avait connu aucune pression politique populiste équivalente [au marché des actions]. Même à mesure qu’il éclipsait le marché des actions, il avait échappé à toute régulation sérieuse. Les vendeurs d’obligations pouvaient dire et faire n’importe quoi sans crainte d’être dénoncés à quelque autorité que ce soit. Les traders d’obligations pouvaient exploiter des informations confidentielles sans risquer de se faire prendre. Les techniciens d’obligations pouvaient concocter de nouveaux véhicules de plus en plus complexes sans trop de soucier des régulations gouvernementales – c’est l’une des raisons pour lesquelles tant de produits dérivés découlaient, d’une manière ou d’une autre, d’obligations (…) L’opacité et la complexité du marché obligataire constituaient pour les grandes banques de Wall Street un énorme avantage. Le client vivait dans la crainte perpétuelle de ce qu’il ne savait pas. Et si les départements obligataires étaient de plus en plus la poule aux œufs d’or de Wall Street, c’était en partie pour la raison suivante : sur le marché obligataire, il était toujours possible de gagner de grosses sommes d’argent en misant sur la peur et l’ignorance des clients

Les marchés financiers sont une collection d’avis contraires. Moins le marché est transparent, plus les titres sont compliqués, et plus ça peut rapporter d’argent aux salles des marché des grandes banques de Wall Street. Les différences de vue permanentes sur la valeur des actions de quelque importante société cotée en Bourse n’apportent pas grand-chose, puisque aussi bien l’acheteur que le vendeur peuvent voir le juste prix de l’action sur leur écran, et que la commission du broker a été réduite sous l’effet de la concurrence. En revanche, les différents avis sur la valeur des CDS sur les obligations subprime – des titres complexes dont la valeur avait été dérivée de celle d’autres titres complexes- pouvaient être une mine d’or. Comme le seul opérateur sérieusement impliqué dans les CDS étaient Goldman Sachs, il y avait, au début, peu de concurrence sur les prix. L’offre, grâce à AIG, était virtuellement illimitée. Le problème était la demande (…) Chose incroyable, à ce point crucial de l’histoire financière qui précéda tant de chamboulements, la seule contrainte du marché des subprimes était le manque de personnes disposées à parier contre

Arnaquer les pauvres

Où trouver des emprunteurs avec des scores Fico élevés (ce score prétend mesurer la solvabilité des emprunteurs individuels) ? Ici encore, les salles de marché obligataire de Wall Street exploitent une faille des agences de notation. Apparemment les agences ne saisissaient pas la différence entre un « score Fico avec un dossier mince » et « un score Fico avec un dossier épais ». Un dossier mince impliquait, comme son nom l’indiquait, un historique de crédit limité. En effet, le dossier était mince parce que la personne n’avait pas souvent emprunté. Les immigrés qui n’avaient jamais échoué à rembourser une dette, pour la simple et bonne raison qu’on ne leur avait jamais accordé le moindre crédit, avaient souvent des scores étonnement élevés et des dossiers minces. Moyennant quoi une nourrice jamaïquaine ou un cueilleur de fraises mexicain avec des revenus de 14000 dollars qui cherchaient à emprunter trois quarts de million de dollars, lorsqu’ils étaient filtrés à travers les modèles de Moody’s et S&P, se retrouvaient soudain utiles. Ils pouvaient améliorer la qualité apparente des assemblages de prêts et augmenter le pourcentage d’entre eux qui seraient déclarés triple-A.

Au royaume des aveugles

A la fin mars 2007, « nous étions quasiment sûrs que l’une des deux hypothèses suivantes était vraie. Soit le jeu était complètement truqué, soit nous avions complètement perdu la tête. L’escroquerie était si évidente qu’il nous semblait qu’elle avait des implications pour la démocratie. Nous avons vraiment eu peur. » Ils connaissaient des journalistes qui travaillaient au New York Times et au Wall Street Journal, mais leur histoire ne les intéressa pas. Un ami du Journal les mit en relation avec la division de contrôle de la SEC, mais ça ne donna rien non plus. Dans leurs bureaux de Lower Manhattan, les gens de la SEC les reçurent et écoutèrent avec politesse. (…) A mesure qu’ils parlaient, ils sentaient l’incompréhension de leur auditoire. (…) La SEC ne donna jamais suite.

Pas de perdants

La frontière entre pari et investissement est artificielle et ténue. L’investissement le plus sûr a tout d’un pari (vous risquez de perdre tout votre argent dans l’espoir d’en gagner plus), et la spéculation la plus folle a les caractéristiques d’un investissement (vous pouvez récupérer votre argent avec un intérêt). Peut-être la meilleure définition de l’investissement est-elle la suivante : « un pari dont les probabilités sont en votre faveur ». Les personnes qui avaient shorté le marché des subprimes avaient les probabilités en leur faveur. Les personnes qui se trouvaient de l’autre côté -la totalité du système financier, pour ainsi dire- avaient parié avec les probabilités contre elles. Jusqu’à ce stade, l’histoire de ce livre n’aurait pu être plus simple. Ce qu’elle avait d’étrange et de compliqué, cependant, c’était qu’à peu près toutes les personnes des deux côtés du pari avaient quitté la table riches.

En refermant le livre, on se dit que ces mecs sont complètement cinglés, et bien capables de recommencer à la moindre occasion. Et ce ne sont pas les réglementations mises en place depuis qui les en empêcheront : 5 ans après, on en est toujours à discuter…

Michael Lewis est né en 1960 à La Nouvelle Orléans. En 1988 il démissionne de Salomon Brothers, et écrit « Poker menteur », que l’on comparera au « Bûcher des vanités » de Tom Wolfe. Il est aujourd’hui journaliste à Vanity Fair.

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