L’écologie politique par André Gorz

André Gorz André Gorz (philosophe et journaliste) est le théoricien de l’écologie politique. Il annonçait à la fin de sa vie (2007) que la sortie du capitalisme avait commencé. Le Canard enchaîné en avait parlé, et j’avais fait un article sur le blog. Depuis, la crise économique est là, et on peut se demander s’il n’avait pas raison…

L’été dernier, Daniel Mermet (France Inter – Là-bas si j’y suis) proposait deux émissions autour d’extraits d’interviews d’André Gorz diffusées sur France culture (1991). L’invité était Christophe Fourel, auteur d’un livre intitulé : André Gorz, un penseur pour le XXIe siècle ?.

L’écologie, après Fukushima, avec l’extraction du gaz de schiste, l’épuisement des ressources de la planète, les changements climatiques, devrait nous interpeller. Les faits (et les effets) s’accumulent. Et pourtant, la candidate des Verts aux élections présidentielles ne fait pas recette dans les sondages. Alors pourquoi ?

En écoutant André Gorz (magie de la radio), on va comprendre ce que signifie réellement l’écologie politique : un véritable changement de paradigme dans l’organisation de notre société, en d’autres termes la fin de la société de consommation. On comprend que cela en effraie plus d’un (et pour différentes raisons).

Mais pas seulement : il va d’abord nous parler de son enfance, de sa difficulté à s’identifier, de sa rencontre avec Jean-Paul Sartre et comment il a pu enfin pouvoir dire JE, c’est-à-dire penser par lui-même. Autodidacte, philosophe, intellectuel : s’il n’a jamais été très médiatisé, c’est à la fois parce qu’il ne recherchait pas la lumière des plateaux, mais peut-être aussi par sa contestation radicale, ainsi qu’il l’explique lui-même :

Je n’ai pas les moyens constitutionnels, si vous voulez psychiques, spirituels, pour avoir une volonté de puissance, sauf le pouvoir que vous donne la contestation. J’estime d’ailleurs que le rôle des intellectuels au sens traditionnel du terme (pas au sens que cela a pris aujourd’hui), c’est de contester. Le radicalisme dans la pensée consiste en la contestation radicale, mais la contestation radicale a besoin de critères.

Personnage à  part, il mérite d’être écouté… ou lu. J’ai donc retranscrit ses propos, ceux de la première émission, et l’article est déjà long… j’essaierai de faire de même pour la seconde.


Il commence donc par parler de son enfance, et de sa recherche d’identité. Il s’est d’abord appelé Gerhard Hirsch, puis Gérard Horst, et enfin André Gorz… et aussi Michel Bosquet !

Mon père était juif et ma mère était catholique… et comme tous les Viennois, comme tous les centre-européens, plutôt antisémite par sa tradition familiale, ce qui fait que je suis né dans une famille où rien de ce qu’on pouvait attendre de moi n’était ce que je pouvais fournir, c’est-à-dire que l’attente des uns comme des autres était une attente que je ne pouvais pas satisfaire.
J’étais donc par rapport à ma famille, à la culture originelle aussi bien paternelle que maternelle, en porte-à-faux. Et toujours coupable, coupable de ne pas être ce que l’on attendait de moi que ce soit d’un côté ou de l’autre. Comment dire… j’étais rejeté sur moi-même ; il n’y avait aucune vérité, aucune attente dont je pouvais dire « voilà ce que je dois faire ». Donc j’étais un fils plutôt soumis à ma mère qui essayait de correspondre à son attente à elle, tout en sachant que c’était impossible, et comme elle attendait de moi que je sois un aryen viril et germanique, il est évident que ma soumission à elle était exactement le contraire de ce qu’elle pouvait attendre de moi.
Et de là vient ce que j’appelle l’absence d’identité, c’est-à-dire que je suis né sans image de moi-même, j’ai grandi sans avoir aucune image de moi-même ; en plus ma famille a changé de nom une première fois en 1930  parce que mon père avait un nom qui peut être juif, qui peut ne pas être juif, mais en tout cas il a jugé préférable de changer de nom, ce qui fait que je n’ai même pas une identité nominative, nominale. C’est pour ça que je change de nom très facilement : j’ai un nom allemand au départ, et quand j’ai commencé à faire du journalisme en France (c’était en 51) dans un journal qui s’appelait Paris-Presse, ils m’ont dit : « C’est pas possible que tu signes d’un nom allemand, les français n’aiment pas les allemands ». J’ai traduit mon nom Horst en français, et une des traductions possible c’est Bosquet. Alors on m’a dit « des Gérard il y en a déjà trop, alors il faut que tu changes ça aussi », alors j’ai pris Michel.

Puis il découvre Sartre. Ce dernier, qui avait une vingtaine d’année de plus que lui, va lui permettre de forger sa pensée et de se former à la philosophie. Il lit « La nausée » puis « Le mur » et enfin « L’être et le néant ». C’est à partir de ce dernier ouvrage qu’il va vraiment essayer de suivre et de s’inspirer de la pensée de Sartre.

Sartre c’était celui auquel je pouvais m’identifier, parce que comme philosophe il se mettait à penser apparemment à partir de rien. Il ne prenait pas les concepts des autres, il forgeait ses propres concepts. Donc on peut dire que c’est quelqu’un qui part de pratiquement rien, pour construire sa pensée, chemin faisant, de façon cohérente. Et c’est ça qui m’a beaucoup plu chez lui, c’est quelqu’un qui ne se situe pas dans une école et dont les critères ne sont pas des critères reçus, ce sont des critères inventés, fondés, construits. Pour moi, Sartre, c’était la négation, surtout la négation de tout ce qui était pour moi inacceptable et inassimilable. On a probablement du mal à l’imaginer aujourd’hui, c’était quelqu’un qui était rejeté par tout le monde, avec une hargne et une hostilité que l’on trouve rarement dans l’histoire de la littérature. Il était rejeté comme un pervertisseur de la jeunesse, comme nihiliste, comme ennemi de la classe ouvrière… rejeté par la droite autant que par la gauche. Donc c’était mon homme, c’était celui que tout le monde rejetait, je pouvais m’identifier à lui. Il était à sa façon un exclu dans tout le  système des valeurs et dans tout le système culturel ambiant.

Alors quand il est venu en Suisse invité par une association d’étude des lettres, comme il y avait des gens qui savaient que j’avais lu tout ce qu’il avait écrit, ils m’ont invité. Après il y avait un cocktail, et j’ai accaparé Sartre pendant une heure et demie. Je me suis assis à côté de lui, et puis on a parlé, interminablement. Il m’a beaucoup séduit, et aidé (en un sens) par une vitalité très généreuse. Je ne l’imaginais pas du tout comme ça. Sa philosophie de l’époque, c’était une philosophie de l’échec, de l’injustifiabilité, de la culpabilité, et de l’échec inévitable… Je ne sais pas si vous vous souvenez l’Être et le néant se termine par « de ce point de vue là il revient au même d’être conducteur du peuple ou de s’enivrer solitairement », c’est-à-dire que l’ivrogne ou le dictateur allaient également à l’échec inévitable qui était inscrit dans ce qui était normalement le projet fondamental de l’homme.

Alors moi je m’attendais à un type pour qui effectivement tout se vaut mais négativement, que rien ne vaut, et rien ne vaut rien.. et tout vaut rien. Et j’ai trouvé quelqu’un d’une grande vitalité, il remplissait l’espace autour de lui ; il le remplissait dangereusement puisque pour prendre sa cigarette il levait le coude jusqu’à la hauteur de l’épaule, il donnait donc des coups de coude autour de lui tout le temps… les gens n’osaient plus s’approcher puisqu’il était tout le temps en train de bouger ! Et il parlait avec une joie de vivre contagieuse. Nous avons parlé surtout de la méthode régressive-progressive, donc de la façon dont on peut reconstruire une personne et par quelle méthode de questionnement.

André Gorz écrit alors « Le traître », son premier livre, une analyse existentialiste, quelque fois difficile à lire, où il cherche à s’autoriser à dire « JE ».

Et quand j’ai eu terminé cette entreprise d’auto-compréhension et d’auto-remaniement, d’auto-changement, je lui ai dit « vous ne voulez pas faire une préface à ça ? » ; il m’a dit « écoutez, si je vous fais une préface, cela va vous marquer, vous serez compromis avec moi pour toujours… alors je vais vous faire une proposition honnête : je ne vous fais pas de préface, mais je vous fais une critique dans un journal littéraire ». Alors je lui ai dit « vous me faites une préface et je serai compromis pour toujours avec vous, je ne demande rien d’autre ! ». Il m’a fait une préface, il a mis le temps, une très belle chose, un des très beaux textes qu’il a fait.

Si vous voulez vraiment arriver à penser comment vous êtes devenu ce que vous êtes, et comment vous pouvez devenir quelqu’un qui est capable de dire « ça c’est moi, et ce n’est pas le conditionnement, ni l’éducation, ni la socialisation, ni l’air du temps qui me fait penser ça, c’est moi qui le pense », et bien il faut d’abord se dépouiller de tout (ce qui ne m’était pas difficile), mais surtout il faut être sans aucune complaisance envers les sédiments que chacun charrie avec soi, et qui sont des empreintes qu’il a reçu, souvent sans comprendre pourquoi et sans s’en apercevoir, de son histoire et de son enfance. Et du moment que vous savez que ces empreintes existent, vous pouvez non pas les effacer, vous pouvez vous en servir.

J’ai reçu beaucoup de lettres de gens qui ne me ressemblent en rien (c’est-à-dire qui ne sont ni bâtards de juifs-aryens, ni centre-européens…) qui ont dit : « c’est moi, je me suis reconnu ». Bien sûr qu’ils ne se sont pas reconnus dans tout, mais ils se sont reconnus dans le problème qui est comment devient-on quelqu’un qui est capable de dire JE.

Christophe Fourel précise que Gorz a poussé l’exercice très loin : il y a dans ce texte une dimension psychanalytique, revenant sur les conditions de son enfance et ses traumatismes, mais Gorz essaie de re-situer cela dans l’Histoire, pour rassembler tous les éléments qui font qu’il est à cette place, à ce moment là et pourquoi. Il se base également beaucoup sur l’œuvre de Marx, dès le début, pour comprendre sa propre situation, et pouvoir faire ce remaniement et réussir cette conversion morale selon l’acception existentialiste avec l’aide de Jean-Paul Sartre.

Son deuxième livre s’appelle « La morale de l’histoire » (1959). Dès les premières pages, il annonce avoir traversé l’œuvre de Marx… Il n’est pas d’accord sur la façon dont a été relayé la pensée de Marx, et commence à élaborer une théorie de l’aliénation, essayant de montrer par quelles voies on peut à la fois s’émanciper du travail et s’émanciper dans le travail. On voit poindre l’écologie politique : écologie au sens du milieu de vie, déterminant de la qualité de vie. Il va faire l’analyse de la société de consommation, l’homme étant à la fois producteur (travailleur) mais aussi consommateur, essayant de comprendre comment l’homme est aliéné dans un système économique qui le domine. C’est le socle de sa pensée écologiste qui est en train de naître à ce moment-là.

Je suis passé à autre chose, ayant compris que la solution de vos problèmes existentiels ne sont jamais en vous-même, dans le remaniement de vous-même, mais dans le dépassement de vous-même dans une action qui soit reconnaissable par les autres, c’est-à-dire qui laisse des traces objectives… les questions que je me suis posé étaient des questions mettons éthico-politiques. J’ai commencé à m’expliquer avec Marx et le marxisme… « La morale de l’histoire » n’est pas très bon, mais contient de bonnes choses, en particulier des morceaux tirés de l’aliénation : par la consommation, par le travail bien sûr, et par la rationalité économique.

Ce livre a eu des lecteurs chez les étudiants communistes.. j’avais été lié à l’extrême-gauche, mais à l’extrême gauche insoumise, non-conformiste, qui n’aimait pas ce dogmatisme du Parti Français. Je ne pouvais pas m’entendre avec un parti, mais j’estimais encore à l’époque que le PCF ne valait rien, mais qu’il fallait le changer. J’estimais que le marxisme et la problématique de l’exploitation du marxisme était une fausse piste, et que le radicalisme ouvrier, subversif, contestataire, était une question d’oppression et d’aliénation, beaucoup plus que d’exploitation économique. C’était la thèse que j’avais défendue  dans ce livre. Mais ce sont des choses que l’on trouve chez Marx ! Certes c’est important les questions salariales, les questions de redistribution de la plus-value, de lutte contre l’exploitation et ses méthodes, mais si le mouvement ouvrier devient hégémonique, ce ne sera pas à cause de ça. S’il devient hégémonique, ce sera parce qu’il est porteur d’une idée et d’une pratique d’émancipation des gens de toutes les formes d’oppression, d’humiliation, d’instrumentalisation et de mutilation que leur impose la division du travail, la technicisation, et l’expropriation dont ils sont l’objet, la possibilité de se reconnaître en tant que agent dans cette pratique qu’est le travail.

Il se lancera ensuite dans un critique du syndicalisme qui sera diversement appréciée (1991). Pourtant très proche du monde ouvrier et syndical tout au long de sa vie, sa pensée très originale l’a mis en porte-à-faux avec le syndicalisme, les syndicats commençant à penser qu’il était en train de scier la branche sur laquelle ils étaient assis ! Un de ses ouvrages intitulé « Adieu au prolétariat » (1980) avait identifié « la non-classe des non-travailleurs » qui avait suscité beaucoup de réactions et de débats, en particulier avec Edmond Maire, le leader de la CFDT à l’époque.

Il y a un problème de régression syndicale qui tient à un très grand nombre de facteurs : cela tient au  fait que de moins en moins de gens arrivent à s’identifier à leur travail. Toute la classe ouvrière classique, pour ne pas dire traditionnelle, considérait que le travail est source de  puissance, sinon de pouvoir. C’est-à-dire que le travailleur, par sa fonction productive, à la fois technique et économique, détient un pouvoir dans la société qu’il devrait arriver à traduire en termes politiques. Ce pouvoir technique, il n’y a aucune raison qu’il ne le rende pas dominant en tant que classe dans la société.
Et c’était vrai aussi longtemps que les industries qui employaient le plus de main d’œuvre étaient les industries essentielles dans une économie. Par exemple les mineurs, les sidérurgistes, les chaudronniers, les ouvriers du bâtiment, étaient les héros de la production. Mais cela n’est plus le cas, la situation a complètement changée, l’industrie dégage de la main d’œuvre, au lieu d’en recruter, et le travail n’est plus source de pouvoir, même dans l’industrie, parce que le travail est beaucoup plus étroitement fonctionnalisé qu’à l’époque où il y avait des mineurs, des sidérurgistes, etc… qui avaient un savoir-faire irremplaçable, qui avaient des trucs professionnels qui ne s’apprenaient pas.
À partir du moment où vous standardisez les actes productifs, les actes techniques et qu’ils deviennent réalisables par n’importe qui après une formation des quelques jours ou quelques semaines, quelques mois au mieux, l’ouvrier devient interchangeable, il a beaucoup de mal à s’identifier à sa tâche, et s’il s’identifie à sa tâche, cette identification n’est plus pour lui une source de pouvoir. Son pouvoir ne peut renaître que sur un autre plan que celui du travail, qui est celui de la contestation politique.
Premièrement est-ce qu’il est vraiment nécessaire de produire comme nous produisons, et deuxièmement est-il vraiment nécessaire de produire ce que nous produisons. Et la réponse est généralement négative, il y a une contestation chez les professionnels qui entrent dans l’industrie, par le bais non plus du syndicat, mais par le biais des citoyens, parce que ces ouvriers agissent comme citoyens, et non plus comme syndiqués. Et cette question est centrale, puisque le problème écologique est central, et que jusqu’à présent très peu de syndicats ont réussi à inscrire le problème de la conversion écologique dans leur programme de politique syndicale.
Parce que dans la mesure où ils défendent les intérêts professionnels d’ouvriers qui sont censés s’identifier à leur travail parce que l’éthique du travail c’est ça, ils ne peuvent pas ! On ne peut contester les finalités et les modalités de la production que si l’on prend du recul par rapport à cette production. Il s’agit si vous voulez d’un changement de paradigme, ce n’est plus de savoir si l’on est bien payé et bien traité dans ce qu’on fait, la question est : « est-ce qu’on doit faire ce que l’on fait ? ».
Cela devient finalement une question morale, une question éthique, et ça c’est un chapitre qui annonce l’écologisme, la critique d’un modèle de consommation qui cherche à satisfaire des besoins avec le flux maximum de marchandises aussi sophistiquées que possible. Vous avez un façon bouddhiste de satisfaire vos besoins, c’est de les satisfaire au moindre coût, avec la moindre quantité, la moindre dépense de travail, la moindre destruction de l’environnement. Et puis vous avez une méthode qui est celle caractéristique de la civilisation capitaliste, qui est de dire que les besoins sont là pour faire tourner la machine, et de produire de plus en plus en réalisant de plus en plus de plus-values, c’est-à-dire de profits sur ce qu’on produit, et qu’il faut toujours ajouter du superflu et du luxe au nécessaire : il faut vendre du nécessaire sous l’image du luxe et du superflu.

Une politique écologique est nécessairement une politique anti-capitaliste, une politique qui cherche à limiter le champ de la consommation marchande, et des échanges marchands.

Dans notre société dominée par la logique économique, la culture a été détruite au sens où les choses sont tellement parcellisées que dans notre quotidien nous ne produisons rien de ce que nous consommons, et nous ne consommons rien de ce que nous produisons. L’individu producteur-travailleur et l’individu consommateur sont complètement séparés, et il n’y a plus d’unité de la personne.

Ce qui fait dire à Gorz que aujourd’hui notre société est en quête de sens, d’orientation, parce qu’elle a perdu la capacité à produire une culture du quotidien, où les gens se sentent chez eux, dans un milieu de vie qui leur est naturel, où la qualité de la vie peut primer. Or notre société aujourd’hui favorise le repli sur soi ou sur la consommation individuelle justement pour contre-balancer les insatisfactions que les gens ont, que ce soit dans le cadre de leur travail ou de leur environnement immédiat qui apparaît comme quelque chose qui n’a plus de sens.

Du moment qu’il existe une demande potentielle qui permet de rentabiliser une industrie (par exemple l’industrie des embryons ou du commerce d’organes) en vertu de quoi allons-nous nous y opposer si nous posons que le critère d’évaluation suprême, c’est la rentabilité et l’expansion du commerce, de l’industrie, et la création d’emploi ? Mais ce ne sont pas des comités d’éthique qu’il faut charger de ça, il faut nous rendre compte que nous vivons dans une civilisation qui a détruit la culture, qui l’a détruit par la spécialisation de tout et de n’importe quoi, la technicisation de tout et de n’importe quoi, et l’évaluation de tout en fonction de critères économiques.
Nous ne sommes jamais allé aussi loin, aussi loin potentiellement, dans la soumission de la vie et du sens de la vie à des critères totalement extrinsèques, c’est-à-dire utilitaires et technicistes. Donc ce ne sont pas des comités d’éthique qui vont nous sortir de l’auberge, parce que quel est le pouvoir d’un comité d’éthique ? il est nul ! Il donne des avis, et puis on en tient compte ou on n’en tient pas compte. Le symptôme de cette crise, ce  que l’on appelle la crise du sens, la crise d’orientation, c’est que nous n’avons plus de culture du quotidien. Les gens ne sont plus chez eux dans leur vie, ne sont plus chez eux dans le monde qu’ils habitent, ne sont plus chez eux dans leur travail, ils ne sont chez eux nulle part. Et contre cela, le mouvement écologiste est une des principales formes de rébellion. Le mouvement écologiste est avant tout un mouvement des gens pour se réapproprier leur vie et leur milieu de vie, et pouvoir le soumettre à leur propre décision. À s’en rendre maître de nouveau.

Christophe Fourel termine l’émission en précisant qu’il ne peut pas y avoir de récupération de l’écologie (produits, green business, etc…) par le capitalisme :

La pensée radicale d’André Gorz c’est justement de montrer à quel point il ne peut pas y avoir de récupération de l’écologie par le capitalisme, car ces deux choses là sont radicalement antinomiques. Ce qui est dramatique aujourd’hui, c’est la soumission de toute la vie à la logique économique, et qui est en train de démontrer l’impasse dans laquelle nous sommes rentrés.  Et que si nous ne changeons pas complètement de logique, de façon radicale, et bien effectivement la capitalisme débouchera sur une forme de barbarie. Gorz disait dans les derniers moments de sa vie que selon lui, nous étions rentrés dans une phase où le capitalisme était en train de s’effondrer, avec une forme de bifurcation : soit cette sortie se fera dans une logique barbare, soit elle se fera d’une façon civilisée, et que d’une certaine manière l’orientation que nous pourrons prendre, elle nous appartient, nous, collectif, société, dans la mesure où on peut effectivement changer ce paradigme et empêcher la logique économique de soumettre toutes les sphères de la vie à sa propre logique, qui est une impasse.

 

L’avantage de la radio,c’est que l’on entend la voix… si vous voulez écouter celle d’André Gorz, les deux émissions sont téléchargeables sur le site  là-bas.org. Si les œuvres d’André Gorz ne doivent pas être toujours faciles à lire, le livre de Christophe Fourel doit être très intéressant.

André Gorz s’est donné la mort le 22 septembre 2007 à l’âge de 88 ans. Homme très discret, il avait fondé le Nouvel Obs avec Jean Daniel en 1964. Spécialisé dans les rubriques économiques et sociales, mais aussi très intéressé par les questions d’écologie et particulièrement de l’industrie nucléaire. Il a aussi beaucoup participé au mensuel écologiste « Le Sauvage » en parallèle de son activité de journaliste, pour y diffuser ses idées d’écologie politique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *