Histoire de la Commune de 1871 – Prosper-Olivier Lissagaray

Histoire de la Commune de 1871 - Prosper-Olivier Lissagaray Deuxième livre sur la Commune que je lis, et cette fois on rentre dans le détail (500 pages) avec une chronique au jour le jour des événements, écrite par un des participants, journaliste de surcroît.

Si l’auteur n’est pas historien, il en a pris l’habit. Il lui faudra cinq années pour recueillir les témoignages, les croiser (« j’ai voulu sept preuves avant d’écrire »), ne voulant surtout pas que le camp d’en face puisse les récuser. Il poursuivra son travail d’enquête et publiera une seconde édition vingt ans plus tard, l’édition définitive de cet ouvrage.

Le ton est passionné, et Lissagaray ne cache ni ses opinions, ni son sentiment de révolte. Il veut laisser à tous les travailleurs de la terre un témoignage, simple et sincère récit de l’histoire des vaincus (n’oublions pas que l’histoire est souvent écrite par les vainqueurs…). Dans la préface il conclut par :

Celui qui fait au peuple de fausses légendes révolutionnaires, celui qui l’amuse d’histoires chantantes, est aussi criminel que le géographe qui dresserait des cartes menteuses pour les navigateurs.

C’est donc la fin de l’Empire, et les Prussiens assiègent Paris. Le 4 Septembre 1870, l’Empire est renversé, un gouvernement de la Défense nationale est nommé, composé de députés républicains de Paris (Jules Favre, Jules Ferry, Léon Gambetta). Les délégués syndicaux, de l’Internationale, lui apportent leur soutien : l’heure est grave, il s’agit de sauver la nation ! Mais l’entente ne va pas durer longtemps :

Quel est donc leur but ? Leur but est de traiter. Depuis les premières défaites, ils n’en ont pas d’autre. Les revers qui exaltaient leurs pères avaient mis les hommes de la Gauche au ras des députés impériaux. Devenus Gouvernement, ils battent la même chamade, expédient M. Thiers quêter la paix par toute l’Europe, et Jules Favre à Bismark. Quand tout Paris leur crie « Défendez-nous, chassons l’ennemi », ils applaudissent, acceptent, et tout bas ils disent : « tu vas traiter. » Il n’y a pas dans l’histoire de trahison plus haute. Les hommes du 4 Septembre ont-ils, oui ou non, détourné le mandat qu’ils avaient reçu ? « Oui » sera le verdict des siècles.

La révolte du peuple de Paris part de là : face à un gouvernement qui ne pense qu’à traiter avec l’ennemi, préférant la poursuite des affaires quitte à céder aux exigences pourtant élevées de l’ennemi. Les nantis au pouvoir se soucient fort peu de l’idée de nation !

Quand on voit comment cela se passe de nos jours, on peut y trouver des similitudes : les politiques attendent toujours la dernière extrémité et sont incapables d’anticiper quoi que ce soit, de peur de déplaire aux milieux d’affaires.

Bref, la reddition est signée, et les Prussiens acceptent qu’une élection soit organisée. Dominée par les ruraux et les bourgeois, la nouvelle Assemblée est conservatrice, majoritairement monarchiste, et nomme Adolphe Thiers comme chef du gouvernement. Elle siège dans un premier temps à Bordeaux, Paris étant toujours assiégé.

Quand elle ne hurle pas, l’Assemblée s’agenouille : les sermons alternent avec les cris de mort. Gavardie demande la cour d’assises à défaut du bûcher contre qui niera l’existence de Dieu ou l’âme immortelle.

La paix est votée au pas de course : L’Alsace et la majeure partie de la Lorraine cédées aux Prussiens, cinq milliards de rançon… et de nouvelles lois économiques draconiennes pour payer tout ça.

Ce que les périls du siège n’avaient pu, l’Assemblée le fit : l’union de la petite bourgeoisie avec le prolétariat.

Le peuple de Paris va se rebeller, refuser la capitulation. L’histoire est longue et je ne vais pas la raconter ici, Lissagaray le fait très bien, avec fougue et tempérament : les dix semaines que dure la Commune, l’entrée des Versaillais et les massacres commis durant la semaine sanglante (20 000 français tués par des français, mieux que la Saint-Barthélemy !), ainsi que les dix années de répression qui suivirent et le sort particulièrement cruel réservé aux nombreux déportés en Nouvelle-Calédonie (5 000 dont 3 000 qui n’en reviendront pas).

Cette semaine sanglante est réellement terrible. Lissagaray en rend Thiers responsable, et le fustige constamment. Homme politique retors, « le petit homme » comme il l’appelle ne laissera aucune chance à la Commune, et sera l’instigateur de la répression féroce faite par les Versaillais. La désinformation sera totale et relayée par la presse comme il se doit. Pas de pardon pour un peuple qui a voulu contester le pouvoir en place.

« Le sol est jonché de leurs cadavres, télégraphia M. Thiers à ses préfets ; ce spectacle affreux servira de leçon ». Il fallut malgré tout mettre un terme à cette leçon de choses. La peste, non la pitié, venait.

Ainsi l’armée se vengeait de ses désastres sur Paris. Paris était un ennemi comme la Prusse, et d’autant moins à ménager que l’armée avait son prestige à reconquérir. Pour compléter la similitude, après la victoire il y eut un triomphe. Les Romains ne le décernaient jamais après les luttes civiles. M. Thiers fit parader les troupes dans une grande revue, sous l’œil des Prussiens auxquels il jetait les cadavres des Parisiens comme une revanche.

L’impression qu’il reste après avoir lu cette histoire est mitigée.

La Commune était portée par une ferveur citoyenne, des idées humanistes de haute valeur (une véritable démocratie participative ?). Elle a réalisé des choses incroyables dans un environnement on ne peut plus difficile. Hormis la reconnaissance de la République, elle établit les bases d’une démocratie directe reposant sur une citoyenneté active. Tous les services publics continuèrent à fonctionner, tenus par des ouvriers ou le prolétariat des employés. Neuf commissions furent nommées (militaire, subsistances, finances, justice, sûreté générale, travail, industrie et échanges, services publics et enseignement) et se mirent au travail.

Émancipation des femmes, liberté de la presse, budget du Culte supprimé, enseignement basé sur la science et la raison en sont quelques exemples. D’une honnêteté remarquable, elle aurait pu « taper » dans les caisses de la Banque de France, à sa disposition, mais ne l’a pas fait. Elle avait également accès aux archives de la Cour des Comptes, du Conseil d’État, de la Révolution française…

On pouvait étaler aux yeux du peuple l’histoire intime de la Révolution, du Directoire, du Premier Empire, de la monarchie de Juillet, de 1848, de Napoléon III. Il suffisait de jeter au vent toutes les pièces en laissant à l’avenir de faire le triage. On ne publia que deux ou trois fascicules. Les délégués dormirent à côté de ces trésors sans paraître les soupçonner.

La Commune semble insouciante pendant longtemps, terriblement désorganisée. Les comités qui se succèdent perdent leur temps en palabres et lutte de pouvoir, alors que l’urgence est d’organiser la défense. Des hommes comme Félix Pyat , journaliste et homme politique, apportent la confusion dans les débats. Côté militaire, ce sera encore pire, l’incompétence rivalisant avec la désorganisation. Seuls Dombrowski et Wroblewsky, deux officiers polonais, se montreront à la hauteur : le premier mourra sur les barricades, le second se battra comme simple soldat jusqu’à la fin puis s’exilera. Un immense gâchis.

Pour terminer sur une note plus gaie, on y apprend les débuts d’un journal qui existe encore de nos jours, Le Figaro :

Villemessant avait sous cet Empire qui fît sortir toutes les sanies, créé le journal-type de la presse de joie, le Figaro. une escouade de petits drôles plus ou moins écrituriers, allaient à la Cour, à la ville, au théâtre, dénicher le cancan, le scandale du jour, l’anecdote croustillante, écoutant aux portes, flairant les cuvettes, fouillant dans les poches, recevant quelquefois la pièce, souvent le pied. Paillard, conservateur, religieux, le Figaro était l’organe et l’exploiteur de cette truanderie de dignitaires, de boursiers et de filles qui levaient si galamment les écus et la jambe. Les gens de lettres l’avaient adopté, y trouvant pâtée et tréteau. Le Gouvernement l’utilisa pour insulter l’opposition, ridiculiser les républicains, calomnier les réunions publiques, accréditer les faux complots qui pouvaient rattacher les timides à l’Empire.

Prosper-Olivier Lissagaray (1838-1901) était animateur littéraire, journaliste français républicain et socialiste indépendant. Franc-tireur, il ne s’affilia à aucun parti politique. Ses amis le décrivent comme « hautain, cassant, autoritaire, dominateur et batailleur »… Inclassable, libertaire, l’Histoire de la Commune de 1871 est l’œuvre de sa vie.

PS : j’ai trouvé cette phrase ici, à propos de Thiers, amusante dans le contexte actuel :

Thiers Adolphe, une basse crapule, un petit homme agité après le gangster, petit lui aussi, Napoléon I. Il semble que les petits agités ne réussissent pas à la France.

Une réflexion sur « Histoire de la Commune de 1871 – Prosper-Olivier Lissagaray »

  1. Bonjour
    En complément de cet indispensable livre, je signale la parution de « Mes cahiers rouges (souvenirs de la Commune) » de Maxime Vuillaume
    Note de lecture parue sur le blog « entre les lignes entre les mots » sous le titre « Mémoires contre l’écriture de l’histoire par la réaction victorieuse » http://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2011/08/24/memoires-contre-lecriture-de-lhistoire-par-la-reaction-victorieuse/
    cordialement
    didier

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