La Commune de 1871 – Jacques Rougerie

La Commune de 1871 - Jacques Rougerie Cela faisait quelque temps que je voulais me documenter sur cette période de notre histoire. Quoi de mieux que la collection « Que sais-je? » pour se faire une première idée ?

Écrit par un historien spécialiste du sujet, épais d’une centaine de pages, La Commune de 1871 offre un très bon résumé : contexte historique, données sociologiques de l’époque, la province, tout est là. La narration ne suit pas forcément un ordre chronologique, mais pour une première approche, c’est parfait.

Un rappel historique est primordial pour comprendre ce qui s’est passé. Quatre vingts ans après la Révolution française, c’est le Second Empire de Napoléon III, ou plutôt sa fin, et le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est pas glorieuse.

La Commune fut l’«antithèse» de l’Empire, écrit Marx. […] Pour comprendre les évènements de 1871, il faut revenir sur les derniers jours de l’Empire, contre lequel se dresse déjà la Ville, sa capitale, Paris.

L’histoire de la Commune de Paris durera en tout et pour tout 72 jours, du 18 mars au 28 mai 1871. Utopique sans doute, elle finira néanmoins dans un bain de sang tant elle fît peur au pouvoir. Citons encore Karl Marx :

Qu’est-ce donc que la Commune, ce sphinx qui tarabuste si fort l’entendement bourgeois ?

Le second Empire

Dès 1869, dans les grandes villes, le régime (autoritaire et centralisé) est contesté, le parti Républicain l’emporte aux élections municipales et souhaite obtenir une plus grande autonomie des conseils municipaux.

Le régime ne tient que par le vote de la campagne, plus conservateur et moins touché par la situation économique qui se dégrade avec les déboires de l’Empire (Italie, Mexique) tandis qu’aux frontières grandit une redoutable concurrente, la Prusse. Les ouvriers commencent à parler de révolution et d’Internationale… La répression est sévère, et tous les dirigeants sont condamnés à de lourdes peines.

Le 19 juillet 1870, l’Empire déclare imprudemment la guerre à Prusse. Les défaites se succèdent. Le 4 Septembre, la foule, bourgeois et peuple mêlés, s’ameute devant le Palais-Bourbon, décrètent le fin de l’Empire et proclame la République !

La République

Un gouvernement provisoire de Défense nationale est formé, composé par des républicains modérés. Il tente d’obtenir une paix honorable, mais les exigences des Prussiens, déjà aux portes de Paris, sont sans concessions. Paris se prépare à la guerre, prête à défendre la Patrie et le République avec enthousiasme.

Des comités de vigilance sont créés dans chaque arrondissement, et chaque comité choisit deux membres  pour former un Comité central de Défense nationale des Vingts arrondissements de Paris. Le Comité se voulait, du moins au départ, nullement concurrent mais auxiliaire du gouvernement :

Commune souveraine, opérant révolutionnairement la défaite de l’ennemi, facilitant l’harmonie des intérêts et le gouvernement direct des citoyens par eux-mêmes.
Il n’a jamais été question de faire au gouvernement une opposition de parti pris… Nous prétendons uniquement mettre tous les habitants de Paris… à même d’exercer leur imprescriptible droit municipal, conformément au plus simple et au plus naturel des principes républicains.

La capitulation

Le 28 janvier 1871, le gouvernement provisoire capitule, cédant à toutes les exigences des Prussiens :

Il a fallu que les dernières illusions s’évanouissent… Il a fallu voir Paris, ce héros, ce martyr, conspué, calomnié par les infâmes qui, de tout temps, ont méprisé les peules : il a fallu cette paix honteuse et hideuse entre toutes… pour que cette population, disposée à une confiance aussi candide, s’aperçût enfin qu’elle n’avait plus à compter que sur elle-même pour assurer son honneur et sa liberté.

Car l’Allemagne ne veut traiter qu’avec un gouvernement régulier. On vote donc, pour ou contre la paix, mais aussi pour ou contre la liberté… Thiers (mi-conservateur orléaniste, mi-libéral) triomphe à la tête d’une Union libérale (aidé par des républicains modérés), et c’est l’échec pour Gambetta, représentant les vrais républicains. L’Assemblée est composée en majorité de monarchistes, de républicains « de principe » et seulement de quelques radicaux gambettistes.

La Commune

Mais Paris est toujours armée : le 18 mars, le gouvernement envoie l’armée reprendre le contrôle, mais tout dérape. Le peuple de Paris et les gardes nationaux (milice armée héritée de la Révolution française chargée de défendre leur ville ou leur quartier) se soulèvent. Le gouvernement fuit à Versailles.

Cette « Révolution sans précédents dans l’Histoire » s’acheminait comme sans le vouloir vers l’idée, sans précédent en effet, et dont on oublie trop le caractère  excessif aussi bien qu’utopique, d’une République de Paris qui, en se constituant d’abord seule, s’offrirait en modèle au reste du pays.

Paris s’est soulevé pour défendre la liberté, et n’a pas encore rejeté le gouvernement. Il veut simplement défendre la République… Une députation de maires parisiens tente de se faire recevoir par l’Assemblée, mais cette dernière (à majorité rurale) refuse de les recevoir.

Plus que de la volonté de Thiers, le rejet de tout compromis est venu de l’obstination haineuse de l’Assemblée.

Le 26 mars, l’élection d’un Conseil municipal est organisé. Le Comité central n’avait voulu patronner personne :

Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus, des parleurs incapable de passer à l’action. Cherchez des hommes sincères, des hommes du Peuple, résolus, actifs.

Un conseil toujours valable de nos jours… Si les tendances sont difficiles à répartir, l’Assemblée est composée majoritairement de travailleurs : ouvriers, patrons, employés, comptables, journalistes, professions libérales, médecins, avocats..

Deux grandes revendications sont rapidement satisfaites :

La conscription est abolie, le budget des Cultes supprimé et la séparation de l’Église et de l’État entérinée « considérant que… la liberté de conscience est la première des libertés…, que le clergé a été le complice des crimes de la monarchie contre la liberté ».

Les faits et les principes scientifiques seront enseignés sans aucune concession hypocrite faite aux dogmes que la raison condamne et que la science répudie. L’enseignement public de la morale ne procède d’aucune autre autorité que celle de la science humaine.

La Commission du travail accomplit en peu de jours une œuvre sociale remarquable. C’est le Contrat social de Rousseau qui sert de référence.

La Commune, ce n’est pas seulement l’autonomie administrative, mais encore et surtout le droit absolu pour le groupe communal de créer son organisation politique comme un moyen pouvant réaliser le but suprême de la révolution, l’affranchissement du travail, l’abolition des monopoles et privilèges, de la bureaucratie et de la féodalité agioteuse et capitaliste.

De nombreuses lois seront ainsi votées, présentant des avancées sociales remarquables. Côté défense par contre, si l’enthousiasme est là, c’est plutôt l’indiscipline qui domine.

Jamais la Commune ne disposa de plus quelques milliers (trois, quatre dizaines) de combattants réels, et indisciplinés de surcroît. Quelques chefs valeureux les encadraient, les Polonais Dombrowski, Wroblewski, l’ancien Garibaldien La Cécilia. En face, Versailles édifia très vite une armée de 130 000 hommes, fraîches recrues ou prisonniers que l’Allemagne relâchait, tous soumis à une discipline rigoureuse et à une propagande efficace.

La fin

Pendant que la situation militaire s’assombrit, la Commune se déchire. On se querelle pour la création d’un Comité de salut public aux pouvoirs étendus, quand une minorité crie à l’usurpation de la souveraineté du Peuple. La situation ne fera que s’aggraver, de comités en comités…

Bakounine croyait y trouver  la réalisation de ses idées anarchistes : « La Commune s’était proclamée fédéraliste, et, sans nier l’unité nationale de la France qui est un fait naturel et social, elle nia audacieusement l’État, qui en est l’unité violente et artificielle ». À tout prendre, l’interprétation du Russe n’était pas tellement éloignée de celle de Marx.

Le 21 mai, l’armée versaillaise entre dans un Paris totalement désorganisé, presque insouciant. La répression sera sanglante, le vainqueur procédant à des massacres systématiques pendant une semaine ! On ne s’arrêta de tuer que lorsque l’on ne sut plus que faire des cadavres : les « honnêtes gens » redoutaient une épidémie de peste.

Paris aurait perdu, par la mort ou par la fuite, près de 100 000 travailleurs, le septième de sa population masculine majeure. Ce fut à Versailles à un déchaînement d’hystérie, orchestré par une certaine presse, Le Figaro, Le Gaulois, les feuilles monarchistes. De grands écrivains y cédèrent, la bonne George Sand, trop provinciale désormais pour comprendre Paris, Flaubert, incapable de comprendre, bien moins enragé qu’on n’a dit… Zola était partagé : la Commune ne venait-elle pas de compromettre la fragile République ? … Le seul Hugo, parisien et peuple dans l’âme, qui n’avait pas approuvé la Commune, sut aussitôt parler au nom des misérables.

Jacques Rougerie, né en 1932 est un historien français, maître de conférences honoraire à l’Université de Paris I. Spécialiste de la Commune de Paris, il a renouvelé en profondeur son histoire.

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