Du vrai, du beau, du bien – Jean-Pierre Changeux

Du vrai, du beau, du bien - Jean-Pierre Changeux En 1984, j’avais lu « L’homme neuronal » du même auteur, et ça m’avait bien plu : les explications sur le fonctionnement de notre système nerveux, la complexité de notre cerveau avec ses milliards de neurones qui échangent de l’information grâce aux synapses (électrique ou chimique), les objets mentaux, l’organisation de la mémoire…

Même si c’était un peu compliqué à lire, on y apprenait beaucoup. Cela avait aussi le mérite d’une approche scientifique (matérialiste), et renvoyait mine de rien les superstitions de toutes sortes au placard, ce qui n’était pas pour me déplaire… j’avais déjà passé ma période mystique ! 😉 .

La science commençait à s’occuper de ce qui se passe dans notre tête : philosophie, sociologie, chimie, biologie, neurologie… toutes ces disciplines se retrouvaient soudainement liées.

?

Hélas, pour ce dernier ouvrage, je peux dire que je n’ai à peu près rien compris… Je ne sais pas quel niveau il faut avoir pour comprendre tout ce qui y est expliqué, mais il est élevé : si vous n’êtes pas familier avec tout le vocabulaire spécialisé de ces domaines, c’est plutôt mal parti, car beaucoup de choses sont considérées comme acquises.

Des chapitres entiers sur les neurotransmetteurs, la chimie du cerveau, les mécanismes cellulaires sont proprement incompréhensibles au pauvre béotien que je suis. Il y a bien des illustrations qui parsèment le livre et qui auraient pu aider à la compréhension, mais elles sont tout aussi absconses.

C’est dommage, Jean-Pierre Changeux y résume ses connaissances (trente années d’enseignement au Collège de France) mais ce livre n’est manifestement pas destiné à vulgariser celles-ci.

Voyons voir ce que j’en ai tout de même retenu…

La première moitié reste cependant intéressante et à peu près abordable : il y aborde la philosophie et son histoire, et ses différentes représentations du monde. Conception naturaliste au début, les atomistes, tout cela débouchant sur la matérialité de l’âme; puis la raison de Platon (mais pour qui, partisan d’une finalité de la nature, l’âme est immatérielle), qui a le mérite d’amener une approche scientifique de la connaissance. Puis vient Darwin bien sûr, et tout ce qui s’en est suivi (les Lumières, etc…).

Puis il parle de l’art, et de la neuroesthétique : l’étude des bases neurales de la contemplation des œuvres d’art et de leur création. Après avoir revu le fonctionnement de l’oeil, la perception de la lumière, des formes, des couleurs, et même l’empathie (échange d’un contenu émotionnel), tout cela agrémenté de résultats d’expériences scientifiques passionnantes, il conclue :

Dans ce cadre, l’art devient un modèle de communication sociale qui crée une tension imprévue entre un réel contraignant et désirs et utopies de l’homme en société. L’art incite à un rêve partagé plausible et réconciliateur entre l’artiste et les spectateurs.

En fait l’artiste est celui qui réussit à exprimer (parfois dans la douleur) une chose enfouie au plus profond de lui… et peut-être également de nous.

Une autre partie sur l’apprentissage du langage, l’évolution de l’écriture au fil des civilisations, et de ce que cela implique sur notre développement cérébral est également passionnante.

Pourtant, une approche purement génétique n’est sans doute pas la bonne : le développement du cerveau lui-même est darwinien, évolutionniste, avec des phases de développement où les connections synaptiques sont diffuses et abondantes dans un premier temps, puis deviennent moins nombreuses, cohérentes et organisées (« épigénèse par stabilisation sélective des synapses »).

À chaque activité mentale correspond des échanges entre neurones, des zones de notre cerveau sont activées et échangent également entre elles. Si elles sont absentes pour une raison ou pour une autre, il peut en résulter des comportements sociaux altérés (autisme, schizophrénie, et même tueur en série).

Mais une fois ceci démontré, on se pose tout de même la question : et après ? chaque découverte ne fait finalement que soulever d’autres questions, et la complexité de s’accroitre par la même occasion.

Le développement de notre cerveau est long et complexe, et pourtant notre séquence génétique n’est pas si éloignée de celle d’organismes beaucoup moins évolués. En d’autres termes, peu de différence au départ résulte en une complexité incroyable. Comment l’expliquer ? Il n’y a pas encore de réponse à ce genre de question, et il faudra attendre longtemps…

Pour revenir aux trois questions fondamentales de Platon, titre du livre, JP Changeux conclue ainsi :

Le Beau serait ainsi véhiculé sous la forme de synthèses singulières et harmonieuses entre émotion et raison qui renforcent le lien social ; le Bien consisterait en la poursuite d’une vie heureuse de chacun avec les autres dans la société ; enfin, le Vrai serait la recherche incessante de vérités objectives, rationnelles, universelles et cumulatives, avec constante remise en question critique et progrès des connaissances ainsi engendrées.
Mais quel est le sens ou l’usage de tout cela ?
Pour y répondre, je mentionnerai un texte de 1972 de René Cassin, prix Nobel de la paix, auquel je suis très attaché, où celui-ci soulignait la « part immense de la science dans la conception, le développement et le respect pratique des droits de l’homme ». Cassin reconnaissait que les inventions pratiques  de l’industrie humaine, ainsi que les développements de la médecine rationnelle, de la Grèce antique jusqu’aux biotechnologies contemporaines, ont directement contribué à alléger la peine des hommes. Depuis la Renaissance, l’aspiration à la liberté d’examen (notamment la liberté de croyance) va de pair avec l’épanouissement de la liberté d’expression, intrinsèque à la pensée créatrice de la science. Le développement de la science a entraîné, mais indirectement, la reconnaissance progressive des droits de l’homme.
Aujourd’hui, le progrès fulgurant de la neuroscience permet de franchir une étape de plus. Une meilleure connaissance de l’homme et de l’humanité permet de « valoriser la diversité des expériences personnelles, la richesse des différentes cultures, la multiplicité de leurs conceptions du monde ». Ce savoir doit « favoriser la tolérance et le respect mutuel sur la base d’une reconnaissance d’autrui comme un autre soi-même appartenant à une même espèce sociale issue de l’évolution des espèces ».

On le voit, un vibrant plébiscite de la science et de ce qu’elle apporte à l’homme.

J’aurais aimé un autre livre : garder toute la partie historique (philosophie, civilisation, langage, écriture) et les explications scientifiques de base, les dernières connaissances acquises et les nouvelles voies qui s’ouvrent, enfin une mise en perspective avec les défis dans le monde d’aujourd’hui.

Mise à jour 19 mars

A mettre en perspective avec une émission de Répliques sur France Culture entendue ce matin : L’enjeu des nanotechnologies. La science devient tellement complexe que le simple citoyen n’y comprend plus rien (comme à ce livre), et n’a plus qu’à retourner à la croyance ! Dans quelle mesure peut-on parler de démocratie dans ce cas ? La science en elle-même n’y est sans doute pour rien, mais ce que l’on en fait. Et qui décide de son évolution finalement ?

Jean-Pierre Changeux (1936) est un neurobiologiste français connu pour sa recherche dans plusieurs domaines de la biologie et pour ses idées concernant la relation entre l’esprit et le cerveau. Il est membre de l’Académie des sciences depuis 1986.

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