Personne ne gagne – Jack Black

Personne ne gagne - Jack Black C’était sur France Culture, un matin du mois d’août dernier, où Dominique Bordes était l’invité « culture ». Je connaissais déjà cet éditeur grâce au fabuleux Et quelque fois j’ai comme une grande idée de Ken Kesey, certainement le meilleur roman que j’ai lu depuis longtemps.

Dans la même collection, avec une toujours aussi belle jaquette et un beau papier, c’est cette fois sa propre histoire que Jack Black nous raconte, sorte de gentleman cambrioleur au tournant du XXème siècle. Son récit nous décrit une époque révolue, celle des Hobos (vagabonds) qui erraient dans l’ouest américain, avec leurs règles, leur solidarité, leurs rassemblements. Jack Black va devenir un « Yegg », un perceur de coffre. À cette époque, pas d’empreintes, pas de fichiers centralisés… et la frontière du Canada n’est pas loin.

Il fera tout de même plusieurs séjours en prison, recevra des coups de fouets (la moitié était donnée à l’entrée de la prison, l’autre au moment de la sortie, une fois la peine accomplie !), il aura également droit à la terrible camisole (qui sera interdite rapidement, trop cruelle et rendant les hommes fous), et deviendra accro à l’opium… Il finira par se ranger, pour adopter une vie honnête qu’il n’avait en fait jamais vraiment connue. Il militera ensuite contre la peine de mort, donnant des conférences ; il publiera des articles dans les journaux, puis ce livre ; deviendra archiviste dans un journal. Il disparaît en 1932, peut-être assassiné, peut-être s’est-il donné la mort…

Le témoignage de cet homme est passionnant : tout est raconté sans aucune aménité ni esprit de revanche contre la société (contrairement au Voleur de George Darien, qui lui est révolté par les injustices de la société). Jack Black est devenu vagabond et voleur presque naturellement (orphelin de mère, père absent), c’est le seul monde qu’il connaît vraiment. Mais il va finir par comprendre qu’il ne mène nulle part, si ce n’est à une mort plus ou moins rapide. « Personne ne gagne » car les criminels feraient mieux de se ranger, et la société de punir les criminels comme la justice le fait.

Voilà comme il se présente au début de son récit :

Quand j’ai quitté l’école, j’étais aussi mal dégrossi qu’un garçon de quinze ans peut l’être. Je n’en connaissais pas plus sur le monde et ses étranges coutumes que la sainte femme qui m’avait appris à réciter mes prières au pensionnat. Avant mes vingt ans, je me suis retrouvé dans le box des accusés pour vol avec effraction. J’ai été acquitté, mais ça, c’est une autre histoire. En six ans, j’étais parti de chez mon père, j’avais pris la route. J’étais devenu un voleur à la sauvette, un videur de tiroirs-caisses, un visiteur de maisons mal fermées, un careur de pensions bon marché, un petit cambrioleur à l’avenir prometteur. À vingt-cinq ans, j’étais un expert, un rôdeur nocturne, attentif à ne jeter son dévolu que sur les meilleures maisons, celles des gens aisés, négligents et assurés. J’opérais après minuit, toujours armé. À trente ans, j’étais un membre respecté de la confrérie des yeggs. Ce voleur dont on ne sait rien. Silencieux, méfiant, dissimulé ; un voyageur sans attache, un « travailleur » de la nuit qui fuit la lumière, s’éloigne rarement des siens et reste sous la surface. Sillonnant les espaces, un automatique chargé à portée de main, le yegg règne sur un autre monde, un monde souterrain, le monde des criminels.  À quarante, j’étais un bandit de grand chemin, solitaire et efficace, mais aussi un fugitif, avec pas moins de vingt-cinq ans à naviguer dans les bas-fonds. Une bien triste expérience dans les faits : innombrables vols, effractions, cambriolages. Tous les crimes possibles et imaginables contre la propriété privée. Arrestations, procès, acquittements, condamnations, évasions. Prisons ! Au moins quatre me reviennent clairement. Pénitenciers, centres de détention, cellules en tous genres, casernes, cachots, mitards ; les régimes au pain sec et à l’eau, les mauvais traitements, les coups de fouet et la redoutable camisole. Je revois aussi les fumeries d’opium, les rades à viande saoule, les repaires de voleurs et les cachettes des mendiants. Les crimes aussitôt suivis d’une punition, sous une forme ou sous une autre. Le long de cette route, j’ai rarement eu l’occasion de boire du bon vin. Je n’ai pas souvent posé les yeux sur une femme, ni entendu des chansons. Toutes ces choses qui me sont arrivées pendant ces  années, je vais les raconter ici. Et je vais les raconter comme je les aies vécues : le sourire aux lèvres.

Jack Black (1871-1932), de son vrai nom Thomas Callaghan, est un vagabond, cambrioleur professionnel, écrivain et archiviste pour le San Francisco Call. Sa philosophie de vie a fortement influencé William S. Burroughs et ses écrits la Beat Generation (Kerouac, etc…).

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