Chroniques – Bob Dylan

Chroniques - Bob Dylan

Ce n’est pas pour ce roman que Bob Dylan a reçu le prix Nobel de littérature, comme pourrait le laisser penser le bandeau que l’éditeur s’est empressé de rajouter ! Paru en 2004, le style est assez direct et concis, le célèbre compositeur-interprète, de son vrai nom Robert Zimmerman, nous raconte ses souvenirs, passant parfois de l’un à l’autre au gré des associations d’idées, glissant parfois un peu de poésie dans ses textes, et terminant par une ellipse à la même époque qu’au premier chapitre, nous laissant un peu sur notre faim…

C’est parfois un peu frustrant, d’autant qu’il s’agit du Volume 1 de ses chroniques, mais qu’aucun Volume 2 n’est paru à ce jour ! Il faudra donc se contenter de ce que Dylan veut bien nous raconter ; c’est tout même très intéressant, voire passionnant, même si toute la culture folk américaine dont il est beaucoup question m’est personnellement tout à fait inconnue !

On commence donc à ses débuts et son arrivée à New-York, et plus précisément à Greenwich Village. D’emblée, il fait beaucoup de références à des chanteurs de folk américains d’où il tire son inspiration. Il fait vite quelques prestations dans les bars du quartier, reprenant des classiques du folk, ou piochant des bouts de textes pour y coller ses propres accords.

Mais il veut trouver ses propres mots pour « parler » à son époque ; il sait ce qu’il veut, c’est évident, mais n’a pas encore trouvé comment l’exprimer. Il lit, se documente énormément, en allant par exemple à la bibliothèque pour lire des articles des années 1850, cherchant l’inspiration, le déclic… Il attend son heure, et semble empli d’une certitude intérieure, comme il l’explique à la fin de la première partie :

J’ai traversé Hudson Street jusqu’à Spring Street, je suis passé devant une poubelle pleine de briques, et je suis entré dans un café. Au comptoir de midi, la serveuse portait une veste en daim qui mettait en valeur ses jolies courbes. Elle avait des cheveux noir-bleu sous un fichu, des yeux bleus perçants, les sourcils soulignés d’un trait de crayon clair. J’aurais aimé qu’elle glisse une rose à ma boutonnière. Lorsqu’elle m’a servi une tasse de café fumant, je me suis retourné vers la vitrine. La ville entière se balançait devant mon nez. J’avais une idée nette de l’endroit où se trouvaient les choses. Il n’y avait pas à s’inquiéter pour l’avenir. Il était infiniment proche.

On attend alors qu’il nous raconte ce déclic, le début de sa célébrité, mais on passe directement à quelques années plus tard, où il fuit la célébrité : il est harcelé à Woodstock (sa première maison) par des visiteurs importuns qui viennent de tout le pays. Il refuse d’être ce que ses albums et les médias ont fait de lui : un porte parole de son époque. Il est juste un gars normal qui veut s’occuper de sa famille (cinq enfants) et profiter des joies simples de la vie. C’est devenu malheureusement impossible…

Dans la troisième partie intitulée « Oh mercy », il s’est blessé à la main (mais ne dis pas comment), et il ne peut plus jouer à la guitare ; il repense à la tournée avec Tom Petty où il ne pensait qu’à arrêter, prendre sa retraite : il ne croit plus en ce qu’il chante, ne comprend plus ses propres textes, incapable de leur donner vie sur scène… Puis au milieu de la tournée TP, profitant d’une coupure, il rejoint les Grateful Dead et a un flash en entendant un vieux musicien de jazz : il sait comment retrouver une force venue de lui-même en chantant, en changeant de technique vocale. Puis il repense a un vieux conseil de Lonnie Johnson (années 60) : un style de jeu basé sur des associations impaires…

Et voilà, avec tout ça il va pouvoir repartir en tournée, avec les mêmes chansons mais avec une interprétation nouvelle : renouveler son public, et tant pis si cela déplaît à l’ancien… Peut-être grâce à sa blessure à la main, il retrouve même l’inspiration et écrit une vingtaine de chansons en un mois (dont Political World). Il part à la Nouvelle Orléans enregistrer un disque avec Danny Lanois, et nous raconte tout le processus de création, les prises, les arrangements, les visions différentes et les prises de bec, mais à terme un album est bien réalisé : « Oh Mercy », qui (il le sait) ne fera pas de tubes, mais recevra une bonne critique.

Autre chapitre « Fleuve de glace » et retour à ses débuts et à ceux qui l’ont inspiré : tout part de Woody Guthrie, une véritable révélation pour lui ; il va se mettre à chanter ses chansons, pratique courante à l’époque. Puis il découvre Jack Elliott, qui fait de même avec Guthrie, mais en pleine maîtrise, ayant déjà sorti des disques… Jack était le roi des folk-singers ! Et bien sûr la reine serait Joan Baez, née la même année que lui, et qui vient de sortir son premier disque. Elle le fascine, il sait qu’ils se rencontreront un jour, que leurs voix s’accordent :

Son disque chez Vanguard n’était pas de la roupie de sansonnet. Il était presque terrifiant — un répertoire dans le plus pur style traditionnel. Elle paraissait très mûre, elle était séduisante, intense, magique. Ce qu’elle faisait tombait très bien en place. Nous avions le même âge, et je me serais presque senti au-dessous de tout. Aussi bizarre que cela puisse paraître, quelques chose me disait que nous allions de pair — que ma voix serait le contre-point idéal de la sienne. À cette époque, tout nous séparait, un gouffre, un univers. Du fin fond de ma province, j’avais pourtant le sentiment étrange que nous nous rencontrerions. Je ne pouvais deviner qu’elle était depuis toujours une vraie solitaire, à ma façon, que ses parents l’avaient trimballée dans toutes sortes d’endroits, de Bagdad à San José. Elle avait une bien plus grande connaissance du monde que moi. Dans ces conditions, elle ne pouvait quand même pas trop me ressembler. Rien dans ses disques ne laissait percevoir aucune sorte d’intérêt pour les changements sociaux.

Il ne se trompe pas, elle sera beaucoup plus que tout ça pour lui, mais il n’en dira pas un mot dans ce Volume 1. Nous en resterons là, en espérant qu’un jour un Volume 2 sorte, mais je n’y crois guère, surtout après tout ce temps. Je pense que Dylan n’a aucune envie de raconter toute sa vie, de se livrer totalement, ce que l’on peut facilement comprendre : dans la seconde partie, il exprime très bien comment la célébrité lui a littéralement pourri sa vie d’homme.

Bob Dylan, né en 1941, est un auteur-compositeur-interprète, une des figures majeures de la musique populaire aux États-Unis. Ses œuvres les plus célèbres datent des années 1960. Martin Scorsese lui a consacré un film documentaire « No direction Home », que je me souviens avoir vu, probablement sur Arte : à ne pas louper si vous en avez l’occasion.

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