Six récits au fil inconstant des jours – Shen Fu

Six récits au fil inconstant des jours - Shen Fu Un roman traduit par Simon Leys, noté pendant la lecture de sa biographie. Le contenu est à l’image du  titre, plein de beauté, de douceur et de fraîcheur…

Shen Fu (1763 – ?) était un obscur lettré, fonctionnaire se retrouvant souvent sans emploi, amené à emprunter, mettre en gages le peu qu’il a, et même à vivre chez des amis. Rien ne le destinait à la postérité, sauf ce recueil qui connût un immense succès en Chine, puis à l’étranger, dès sa publication, hélas largement posthume !

Le propos est on ne peut plus simple : raconter des expériences d’une vie sans grande histoire. Mais par cette simplicité même, il nous charme. Dommage que des six récits il n’en  subsiste que quatre…

Le premier est entièrement dédié à sa femme Chen Yun, intitulé « Souvenirs heureux : la vie conjugale » ; il nous raconte la rencontre et le mariage qui suivit, tous deux formant un couple très amoureux et complice. On en apprend beaucoup sur les mœurs de l’époque, et l’on est même surpris, comme avec l’histoire de la concubine Hanyuan, où Chen Yun semble proposer un ménage à trois ! Nous sommes loin de la femme soumise que l’on imagine…

Puis viennent les « Souvenirs exquis : les heures oisives », où l’auteur va nous détailler un peu leurs occupations, étant tous deux amateurs de poésie, aimant à deviser le soir au clair de lune, ou à se trouver une demeure un peu à l’écart pour en faire un nid douillet, en l’aménageant de belle manière, et pas uniquement l’intérieur : le jardin est aussi important, et révèle tout un art pour occuper l’espace afin d’apaiser l’esprit.

C’est alors le tour des « Souvenirs amers : les épreuves »… Les relations avec son père vont se détériorer sur un malentendu, Chen Yun va tomber malade, les soucis d’argent vont commencer. Ce récit commence ainsi :

Pourquoi donc la vie est-elle semée d’épreuves ? Le plus souvent elles surviennent comme une conséquence de nos fautes ; mais ceci ne saurait être mon cas, car tous mes malheurs sont venus, au contraire, de cette disposition que j’ai à suivre les élans de mon cœur, à respecter la parole donnée et à m’exprimer sans détour.

Le livre se termine par les « Souvenirs allègres… » où Shen Fu nous écrit une sorte de petit guide des endroits qu’il a pu visiter au cours de vie (amené à voyager pour occuper un poste quelques mois par exemple). À moins d’être sur place et d’aller visiter ces lieux, j’y ai trouvé peu d’intérêt, en dehors du style toujours aussi simple et candide, le rendant très agréable à lire.

J’ai beaucoup aimé les noms très poétiques employés pour nommer les lieux : le Pont des Dix Mille Années, la Source des Fleurs de Pêchers, une chambre baptisée « La Tour Parfumée de l’Invitée », un point de vue dominant un paysage immense appelé « Mille Arpents de Nuées »…

Simon Leys fournit une très belle préface, et nous explique :

Il n’y a rien d’idyllique ni de mièvre dans ce tableau de la vieille Chine ; Shen Fu et sa femme ont cruellement souffert sous la règle implacable de l’ancienne société, — mais sans révolte cependant : la société qui les écrase est aussi celle qui les a portés et nourris ; c’est d’elle qu’ils tiennent le meilleur d’eux-mêmes, leur sensibilité, leur humanité, un art de vivre exquis, et un courage sublime dans l’adversité.

Il  y a aussi quelques notes explicatives en fin d’ouvrage, pour donner un peu de contexte à certaines fêtes ou traditions mentionnés par Shen Fu, comme la Fête du Double Neuf (le neuvième jour du neuvième mois lunaire) :

C’est une des plus anciennes fêtes traditionnelles ; sa signification et son origine sont assez obscures ; il semble qu’elle commémore la manière dont une population ancienne aurait échappé jadis à un cataclysme naturel en se réfugiant au sommet d’une montagne. Quelle que soit sa signification initiale, le rite est resté, et aujourd’hui encore, à la date du Double-Neuf, on fait l’ascension d’une montagne, d’une colline ou de tout lieu élevé avoisinant l’endroit où l’on vit. Cette fête est devenue, elle aussi, un agréable prétexte à excursion et pique-nique.

Shen Fu est né en 1763 sous la dynastie Qing. On ignore la date de sa mort. « Six récits au fil inconstant des jours » fut retrouvé par hasard en 1849 et ne fut imprimé qu’en 1877. Simon Leys l’a traduit en 1966.

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