Apprenti – Pierre Magnan

apprenti J’ai acheté ce livre à la librairie Le Bleuet du petit village de Banon (Alpes-de-Haute-Provence). Étonnant de trouver une librairie de cette taille dans un si petit village… Il semblerait qu’en 2010, le propriétaire ait eu les yeux plus grand que le ventre en voulant s’agrandir pour s’adapter à la vente en ligne. Ce fut le début de problèmes financiers, aboutissant à la vente de la librairie, qui reste tout de même la plus grande librairie française indépendante en milieu rural.

Et puisque j’étais à Banon, j’ai choisi un auteur du coin dont plusieurs personnes m’avaient déjà dit du bien, Pierre Magnan, ami de Jean Giono, et dont toutes les œuvres se situent à Manosque ou sa région.

Pour une première découverte de cet auteur, je n’ai pas été déçu : Pierre Magnan y raconte ses années de jeunesse avec beaucoup de franchise, et on apprend beaucoup sur la vie des gens à cette époque, dans une petite ville comme Manosque : comme le monde a changé depuis ! Le contraste est saisissant…

C’est très bien écrit, facile et plaisant à lire, même si l’auteur aime parfois à utiliser des mots anciens ou peu usités de la langue française, comme pour nous montrer qu’il la maîtrise… Mais c’est heureusement tout de même assez rare et pas gênant du tout.

En terme de confidences, Pierre Magnan commence fort en nous racontant un épisode marquant de son enfance, voici comment il l’annonce :

Ce livre est le plus dur que j’aie jamais écrit. C’est celui qu’il me coûte le plus de confesser. Je soupire deux ou trois fois par pages en le composant. J’ahane sur ma vérité. Il m’arrive de me demander quel démon ricanant me pousse à l’extraire de moi et je retarde l’instant où le destin va se lever pour me rendre responsable de mon propre malheur.
Je porte ce secret au fond de mon cœur depuis soixante ans et c’est peut-être ce qui me fait si lourd d’aspect et d’âme.

Je ne vous livrerai pas le secret, il vous faudra lire le livre… C’est raconté dès le début du livre, comme si l’auteur voulait se délivrer au plus vite de ce poids. Disons qu’il s’agit d’un caprice d’enfant aux conséquences terribles qu’il ne comprendra que plus tard ! Et ce qui nous laisse certains d’une grande franchise dans les souvenirs d’enfance que va nous conter l’auteur.

Vient ensuite la description de la Grand’Rue ou rue Grande de Manosque, étal par étal, magnifique fresque qui nous fait pénétrer au cœur de la vie du village, comme par exemple quand il parle du commerce de torréfaction électrique :

En face de la cousine Rose, par exemple, il y a le fils de la veuve Imbert. Il semble que cet homme grand au regard triste soit tout entier contenu dans l’inscription qui orne sa boutique :

« Veuve Imbert, torréfaction électrique »

Comme si cette manière de traiter le café devait le rendre meilleur et plus salubre. Grâce à lui, trois fois par semaine, la Grand’Rue sent d’un bout à l’autre le café torréfié à l’électricité sans qu’il soit possible de savoir si cette odeur est meilleure que celle qui flotte sur la rue Chacundier quand l’Henri Gardon brûle le sien au charbon de bois dans un antique brûloir en fer rouillé, tout en lisant « La porteuse de pain ».
Cet Imbert-là, j’ignore s’il a une femme. En tout cas il a une mère veuve à cheveux blancs avec qui ma grand-mère Brunel trame de longs conciliabules désolés. C’est une amie d’enfance et jamais la Marie Priapre n’achètera ailleurs son quart de café.
Du reste, celui-ci est déjà présenté dans l’un de ces beaux emballages hermétiques au lieu du commun papier gris bien proprement plié à la main comme chez l’Henri Gardon.
Ce paquet à suspendre dans l’arbre de Noël du rêve est destiné à faire croire qu’un tel conditionnement est propre à conserver intact l’arôme subtil du café alors qu’il d’abord que cet arôme existe. Combien de fois déjà à cette époque me suis-je penché plein d’espoir sur l’un de ces quarts de café que ma grand-mère rapportait de chez l’Imbert, mais l’arôme dont il était tant question n’atteignait jamais mes narines, alors que celui de l’Henri me comblait de souvenirs.

Les souvenirs vont ainsi se suivre, et les années défiler ; l’enfant grandit, sa vision du monde aussi. Sa rencontre avec Giono, fervent pacifiste (il publie son « Refus d’obéissance ») nous sera contée. Pierre Magnan assistera ainsi tout gamin aux Rencontres du Contadour, tout près de Banon justement : lecture, poésie, promenades, discussions sont au programme. La naissance de sa vocation d’écrivain viendra à cette époque, les images lui jaillissant littéralement au cerveau quand il noircit ses premières pages.

Mais la guerre approche, et la façon dont il raconte cette époque, vu de Manosque par un jeune adolescent est vraiment très drôle, comme l’élection du Front populaire, ou les 40 heures et les congés payés qui ne signifient rien concrètement pour les travailleurs locaux, ou encore les défilés de tous bords qui ont lieu dans le village ! Finalement, il sera content que la ligne Maginot ait été trop courte, ce qui a permit de réduire la durée de la guerre… À noter que c’est également un lecteur du Canard enchaîné.

Pierre Magnan (1922-2012) est un écrivain français né à Manosque. Très lié à cette région, toute son œuvre y est située. Il a écrit plusieurs romans policiers, racontant les aventures du commissaire Laviolette, dont les aventures ont été portée à la TV. Son ouvrage le plus célèbre est « La maison assassinée », porté au grand écran celui-ci.

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